Article 123 Bis du CGI : un dispositif anti-évasion redoutablement complexe

Mis à jour le 05/09/2025 | Publié le 04/09/2025 | 0 comments

Etienne de Larminat - Avocat Fiscaliste : Avocat Spécialiste du Droit Fiscal

Etienne de Larminat

Avocat fiscaliste

Ce dispositif, souvent qualifié de «CFC Rules » (Controlled Foreign Corporation rules) à la française pour les personne physique, conduit le fisc à imposer des bénéfices non distribués, comme s’ils avaient été effectivementg perçus par le résidents fiscal français. Il est alors nécessaire de comprendre précisément les mécanisme de cette arme anti-évasion, dont les conditions d’application et les modalités d’imposition sont d’une technicité redoutable.

En effet, la logique de l’article 123 Bis est de faire «transparence» sur des structures interposées, considérées comme des écrans destinés à capitaliser des revenus dans des juridictions à fiscalité douce, à l’abri de l’impôt français.

L’objet du présent article est de vous permettre de comprendre les enjeux de ce dispositif, que vous soyez en phase de structuration de votre patrimoine ou sous le coup d’un contrôle fiscal.

Pour cela, nous commencerons par une analyse détaillée des conditions cumlulatives qui déclenchent l’article 123 Bis. Cette première partie est crutiale, car c’est souvent sur ce terrain que se joue la défense du contribuable.

Nous présenterons ensuite les modalités d’application du dispositif, c’est-à-dire la manière dont le revenu est calculé, imposé et les obligations déclaratives qui en découlent. La mention des jurisprudences récentes, notamment celles du Conseil Constitutionnel et des Cours Administratives, sera systématique. Elles ont profondément modelé le dispositif, en introduisant des « clauses de sauvegarde » qui, bien que non écrites dans la loi initiale, sont aujourd’hui des piliers de la défense.

De façon plus générale, la lecture de cet article doit vous alerter sur la nécessité d’une analyse préventive rigoureuse de toute structure de détention d’actifs à l’étranger et s’inscrivant toujours dans une stratégie de défense globale, je vous invite à lire mon article sur celle-ci. La complexité de l’article 123 bis et la sévérité de ses conséquences imposent une vigilance de tous les instants.

Conditions d’application de l’article 123 bis du CGI : un faisceau d’indices à la charge de l’administration

L’administration fiscale porte en principe la charge de la preuve de la réunion de ces conditions.

Le dispositif vise expressément les personnes physiques domiciliées en France au sens des articles 4 A et 4 B du CGI.

La condition de domiciliation fiscale s’apprécie à la date à laquelle les revenus de l’entité étrangère sont réputés acquis, c’est-à-dire, en règle générale, le premier jour du mois suivant la clôture de l’exercice de l’entité (CGI, art. 123 bis, 3).


Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l’exercice de l’entité juridique établie ou constituée hors de France ou, en l’absence d’exercice clos au cours d’une année, le 31 décembre.


La personne physique doit détenir, directement ou indirectement, 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans l’entité étrangère.

  • Les actions ou parts dans les sociétés.
  • Les droits financiers, qui correspondent aux droits aux bénéfices et à l’actif net.
  • Les droits de vote.

La détention peut être directe ou indirecte.

  • Par l’intermédiaire d’une chaîne de participations : le pourcentage de détention est alors calculé en multipliant les taux de détention successifs dans la chaîne.
  • Par l’intermédiaire d’une communauté d’intérêts familiaux : pour l’appréciation du seuil de 10 %, il faut additionner les participations détenues par la personne physique, son conjoint, ses ascendants et descendants, ainsi que son partenaire de PACS soumis à imposition commune. Attention, cette agrégation familiale ne sert qu’à vérifier le franchissement du seuil ; le revenu ne sera imposé qu’à hauteur de la participation personnelle (directe et indirecte par chaîne de sociétés) de la personne physique.

Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus indirectement par la personne physique mentionnée au 1, s’entendent des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l’intermédiaire d’une chaîne d’actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote ; l’appréciation du pourcentage des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ainsi détenus s’opère en multipliant entre eux les taux de détention desdites actions ou parts, des droits financiers ou des droits de vote successifs.


L’article 50 bis de l’annexe II au CGI précise que le pourcentage de participation s’apprécie :

  • Soit à la clôture de l’exercice de l’entité étrangère.
  • Soit au 31 décembre en l’absence d’exercice clos.

Pour apprécier si la proportion de 10 % mentionnée au 1 de l’article 123 bis du code général des impôts est atteinte, il y a lieu de retenir le pourcentage de la participation de la personne physique constaté à la clôture de l’exercice de la personne morale, de l’organisme, de la fiducie ou de l’institution comparable, établi ou constitué hors de France ou, en l’absence d’exercice clos au cours d’une année, le 31 décembre. Toutefois, s’il est plus élevé, le pourcentage à retenir est celui de la participation détenue pendant au moins 183 jours au cours de l’exercice ou de l’année civile, suivant le cas. Toutefois, pour éviter les montages consistant à céder temporairement des titres pour passer sous le seuil à la date de clôture, la loi retient le pourcentage le plus élevé s’il a été détenu pendant au moins 183 jours (consécutifs ou non) au cours de l’exercice.


L’article 123 bis, 4 ter instaure une présomption redoutable : la condition de détention de 10 % est présumée satisfaite lorsque la personne physique a transféré des biens ou droits à une entité située dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de l’article 238-0 A du CGI.


La condition de détention de 10 % prévue au 1 est présumée satisfaite par :

– le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant d’un trust, au sens de l’article 792-0 bis. La preuve contraire ne peut résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur ;

– la personne physique qui a transféré des biens ou droits à une entité juridique située dans un Etat ou un territoire non coopératif, au sens de l’article 238-0 A.


Il s’agit d’une présomption simple, que le contribuable peut renverser, mais qui facilite grandement la tâche de l’administration.

La jurisprudence a confirmé que les trusts, même irrévocables et discrétionnaires, entrent dans le champ matériel du texte (CAA Paris, 24 juin 2020, n°19PA00458).


Ces dispositions, interprétées à la lumière des travaux préparatoires de l’article 101 de la loi de finances pour 1999 dont elles sont issues, doivent être regardées comme incluant dans leur champ d’application les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus dans les trusts au sens du droit anglo-saxon. Les requérants ne sauraient par suite valablement soutenir que l’article 123 bis du code général des impôts ne s’applique pas aux trusts.


C’est une notion technique, définie par renvoi à l’article 238 A du CGI sur lequel nous avons déjà fait un article dont la lecture est vivement conseillé pour comprendre cet article.

Une entité est considérée comme soumise à un régime fiscal privilégié si elle n’est pas imposable dans son État ou territoire, ou si elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur à 40% à celui de l’impôt sur les sociétés dont elle aurait été redevable en France si elle y avait été établie.

Si l’impôt local est inférieur à 10 %, le régime est présumé privilégié. La charge de la preuve de l’existence de ce régime pèse sur l’administration (CE, 21 mars 1986, n° 53002).

Le dispositif ne vise que les structures patrimoniales passives. L’actif de l’entité doit être principalement constitué de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.

Le caractère “principal” est atteint lorsque ces actifs financiers représentent plus de 50 % de l’actif total de l’entité.

Cette condition vise à exclure les entreprises ayant une réelle activité industrielle ou commerciale. La valorisation de l’actif s’effectue à la date de clôture de l’exercice.

L’administration pourrait invoquer l’abus de droit (LPF, art. L. 64) si elle démontrait que le seuil de 40 % a été artificiellement maintenu juste en dessous de la limite.

Face à un dispositif qui instaure une présomption d’évasion fiscale, la question de sa compatibilité avec les libertés fondamentales (liberté d’établissement, libre circulation des capitaux) s’est rapidement posée.

Initialement, la loi ne prévoyait aucune porte de sortie pour le contribuable qui remplissait toutes les conditions.

S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (notamment l’arrêt Cadbury Schweppes, C-196/04), le législateur a introduit une clause de sauvegarde (art. 123 bis, 4 bis), mais l’a limitée aux entités situées dans l’UE.

Le Conseil constitutionnel a jugé cette limitation contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. Dans deux décisions clés (QPC n° 2016-614 du 1er mars 2017 et QPC n° 2017-659 du 6 octobre 2017), il a généralisé la portée de cette clause.


 Les dispositions du second alinéa du 3 de l’article 123 bis du code général des impôts ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement en application de ces dispositions.


Il en résulte que le contribuable peut toujours échapper à l’application de l’article 123 bis s’il apporte la preuve que la détention de sa participation n’est pas constitutive d’un montage artificiel dont le but est de contourner la législation fiscale française.

Cette preuve peut être apportée en démontrant que la structure a été mise en place pour des motifs patrimoniaux, économiques ou familiaux légitimes, étrangers à toute volonté d’évasion fiscale. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Paris (24 juin 2020, précitée) a admis qu’un trust constitué par un non-résident, dans un but de protection du patrimoine familial, n’était pas un montage artificiel.

Cette clause de sauvegarde est aujourd’hui le principal axe de défense du contribuable.

Modalités d’application de l’article 123 bis du CGI : une imposition par transparence

Lorsque les conditions sont réunies et que le contribuable ne peut se prévaloir de la clause de sauvegarde, le dispositif déploie ses effets.

L’imposition se fait “par transparence”, c’est-à-dire que les bénéfices de l’entité sont directement appréhendés au niveau de la personne physique, qu’ils soient distribués ou non.

Le revenu imposable est constitué par les bénéfices ou revenus positifs de l’entité étrangère.

L’article 123 bis, 3 du CGI précise qu’ils sont déterminés « selon les règles fixées par le présent code comme si l’entité juridique était imposable à l’impôt sur les sociétés en France ».

Cela implique une lourde tâche pour le contribuable : il doit reconstituer un résultat fiscal « à la française », en partant des comptes locaux et en opérant les retraitements nécessaires (amortissements, provisions, etc.).

Les déficits d’un exercice sont reportables sur les bénéfices des exercices suivants, conformément au droit commun de l’IS.

Le bénéfice ainsi calculé est réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers pour la personne physique, dans la proportion des droits financiers qu’elle détient.

L’impôt acquitté localement par l’entité, s’il est comparable à l’IS, est déductible de ce revenu imposable.

Lorsque l’entité est établie dans un État ou territoire n’ayant pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative ou qui est un ETNC, l’article 123 bis, 3 prévoit une base minimale d’imposition forfaitaire.

Le revenu imposable ne peut alors être inférieur au produit de deux facteurs :

  • La fraction de l’actif net de l’entité détenue par la personne physique.
  • Un taux d’intérêt de référence (le taux prévu à l’article 39, 1, 3° du CGI, soit la moyenne annuelle des taux effectifs moyens des prêts à taux variable aux entreprises).

Le Conseil constitutionnel (décision QPC n° 2016-614) a toutefois posé une réserve d’interprétation : ce calcul forfaitaire ne saurait faire obstacle à ce que le contribuable apporte la preuve que le revenu réellement perçu par l’entité est inférieur à ce montant comme dit précedemment.

Le revenu déterminé selon les règles ci-dessus est imposé en France comme un revenu de capitaux mobiliers (RCM).

Cependant, il subit un traitement fiscal particulièrement défavorable :

  • Majoration de l’assiette : En application de l’article 158, 7, 2° du CGI, le montant du revenu est multiplié par 1,25 avant d’être soumis à l’impôt.
  • Imposition au barème progressif : Le revenu majoré est intégré au revenu global du foyer fiscal et soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
  • Pas d’abattement : L’abattement de 40 % applicable à la plupart des dividendes est expressément exclu.
  • Prélèvements sociaux : Le revenu (avant majoration de 1,25) est également soumis aux prélèvements sociaux au taux global de 17,2 %.

Ce traitement fiscal est clairement conçu pour être dissuasif.

Pour éviter que les mêmes sommes soient imposées une première fois via l’article 123 bis, puis une seconde fois lors de leur distribution effective, l’article 123 bis, 4 prévoit un mécanisme de correction.


Les revenus distribués ou payés à une personne physique mentionnée au 1 par une entité juridique ne constituent pas des revenus imposables au sens de l’article 120, sauf pour la partie qui excède le revenu imposable mentionné au 3.


Les revenus distribués ultérieurement par l’entité à la personne physique ne sont pas imposables en France, jusqu’à concurrence du montant total des revenus déjà taxés en application de l’article 123 bis.

Le contribuable doit tenir une comptabilité précise de ces montants pour pouvoir bénéficier de cette exonération.

Le dispositif s’accompagne d’obligations déclaratives très lourdes, détaillées à l’article 50 septies de l’annexe II au CGI. Le contribuable doit joindre à sa déclaration de revenus annuelle (formulaire 2042) une déclaration spécifique (formulaire 2047 et ses annexes) comportant notamment :

  • L’identification complète de l’entité.
  • Le bilan et le compte de résultat de l’entité, établis selon les règles françaises.
  • Le calcul détaillé du revenu imposable.
  • La justification des impôts payés localement.
  • Le non-respect de ces obligations, ou une déclaration inexacte, expose le contribuable aux sanctions de droit commun :
  • L’intérêt de retard.
  • Une majoration de 40 % pour manquement délibéré, voire 80 % en cas de manœuvres frauduleuses.

La procédure de l’abus de droit fiscal (LPF, art. L. 64) peut également être mise en œuvre par l’administration.

En conclusion, l’article 123 bis du CGI est un mécanisme de défense de la base taxable française d’une grande sophistication.

Sa mise en œuvre repose sur un faisceau de conditions précises, mais dont l’appréciation peut laisser place à débat, notamment sur la notion de régime privilégié ou de montage artificiel.

La jurisprudence constitutionnelle a heureusement rééquilibré le dispositif en consacrant une clause de sauvegarde générale, qui constitue la pierre angulaire de la défense du contribuable.

Néanmoins, la lourdeur des obligations déclaratives et la sévérité des sanctions en cas de redressement imposent la plus grande prudence et le recours à un conseil spécialisé pour toute personne détenant des actifs financiers significatifs par le biais de structures étrangères.ssance du dispositif demeure, tant par son effet direct sur la déductibilité des charges que par son rôle de porte d’entrée vers d’autres mécanismes anti-évasion redoutables.

La navigation dans les eaux de la fiscalité internationale, et notamment dans les transactions avec des partenaires étrangers, exige une vigilance extrême et une documentation sans faille.

Face à la complexité de ces règles et à la sévérité de leurs conséquences, le recours à un avocat spécialiste du droit fiscal est non seulement recommandé, mais souvent indispensable pour sécuriser les opérations et, le cas échéant, construire une défense solide face à l’administration.

Etienne de Larminat - avocat fiscaliste

Etienne de Larminat

Avocat fiscaliste

Depuis de nombreuses années, j’assiste les entreprises, les particuliers, les dirigeants et les collectivités dans tous les domaines de la fiscalité.

Je fais partie des très rares avocats français habilités par les instances de la profession à se dire avocat spécialiste du droit fiscal.

Je fais bénéficier mes clients d’une analyse technique,  pointue et innovante, notamment en matière de contentieux fiscal, de contrôle des comptabilités informatisées, de TVA, de droit fiscal international et de fiscalité patrimoniale.

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