Une succession internationale se définit comme une succession dans laquelle le défunt a des biens ou des héritiers dans un État autre que celui de sa résidence. Elle pose parfois des problèmes fiscaux complexes, dont l’étude est l’objet du présent article.
La fiscalité d’une succession internationale dépend du droit interne français, mais aussi de la convention fiscale internationale applicable.
De façon générale, une succession est susceptible de donner lieu à imposition en France si le défunt ou les héritiers ont leur domicile fiscal en France, ou si certains des biens de la succession sont situés en France.
La France a donc une conception large de son pouvoir d’imposer. Néanmoins, l’ampleur de l’imposition peut parfois être limitée.
Dans cet article, je souhaite dresser un panorama aussi complet que possible, vous permettant au moins d’avoir une vision d’ensemble de la matière. Je me tiens bien sûr à votre disposition, si vous souhaitez plus de détail ou une aide pour appliquer les principes évoqués à votre situation particulière.
Je pratique la matière au quotidien.
Après quelques considérations générales, j’aborderai successivement :
- Les sources du droit en matière de fiscalité des successions internationales,
- Les points communs avec les successions de droit interne,
- L’articulation avec les enjeux civils,
- Une présentation des sources du droit en la matière,
- La définition du domicile fiscal en droit international des successions,
- La logique des conventions fiscales internationales en matière de successions,
- La localisation des biens au regard du droit interne français,
- L’élimination des doubles impositions en l’absence de convention fiscale internationale,
- La question des biens étrangers indisponibles.
Les droits de mutation à titre gratuit dans les successions internationales : considérations générales
On entend par succession internationale toute succession comportant des liens avec plusieurs pays.
En général, ces liens concernent :
- La localisation des biens,
- Le domicile du défunt,
- Le domicile des héritiers,
- La localisation des entités avec lesquelles certains contrats ont pu être conclus : trusts, contrats d’assurance, etc.
Dans le jargon des juristes, on dit que ces liens sont des « éléments d’extranéité ».
On s’intéressera ici aux successions soumises en France à ce que l’on appelle les « droits de mutation à titre gratuit » (DMTO), dont le fait générateur est le décès d’une personne.
Fiscalité des successions internationales : points communs avec les successions purement internes
Les successions internationales ne constituent pas à proprement parler une catégorie à part.
Elles sont en principe soumises au droit commun des « droits de mutations à titre gratuit ».
Il conviendra donc, comme pour toute succession de :
- Déterminer l’actif successoral, en tenant compte des valeurs au jour du décès,
- Soustraire le passif,
- Déterminer les droits de chacun des héritiers dans la succession,
- Appliquer le barème fiscal applicable à chaque héritier, en fonction de ses liens de parenté avec le défunt. A ce titre, il convient bien sûr de tenir compte d’éventuelles abattements pour transmission en ligne directe.
Si une question n’est pas traitée par les textes spécifiques régissant les successions internationales, il convient de revenir aux règles communes aux droits de mutations à titre gratuit.
Mais au-delà de ce socle commun, ces successions présentent certaines particularités, qui serons présentées dans le présent article.
Droit fiscal international des successions : articulation avec les enjeux de droit civil
Le traitement fiscal d’une succession internationale suppose que les droits des héritiers soient connus et précisés.
Ce point ne pose en général pas de difficultés en l’absence de conflit entre eux. Les choses sont également facilitées en présence d’un notaire, ou un professionnel du droit étranger dans des conditions inspirées du système notarial français.
Il en va différemment en cas de litige successoral.
Ainsi, par exemple, le 3° de l’article 750 ter prévoit que les biens reçus par succession par un résident français sont en principe taxables en France. Cette règle ne s’applique que si la personne a résidé en France pendant au moins six ans au cours des dix dernières années.
Il peut arriver qu’un résident français prétende avoir des droits dans une succession, et que ses droits soient contestés.
Une telle situation pose des problèmes pratiques.
En effet, le délai pour déposer la déclaration fiscale de succession est de six mois ou un an, selon les cas. Nous y reviendrons plus bas.
Or, le traitement du litige successoral est en général de plusieurs années.
Chaque situation est unique, et il convient de ne pas trop généraliser. Néanmoins, une solution possible est de déposer une première déclaration dans le délai légal, quitte à adresser ultérieurement une déclaration rectificative à l’administration.
Des questions peuvent également se poser relativement à la liquidation du régime matrimonial. En effet, les modalités de cette liquidation peuvent avoir une incidence sur les droits des héritiers.
Fiscalité des successions internationales : présentation des sources du droit
Vous êtes en présence d’une succession présentant des aspects internationaux.
Il est parfois nécessaire de s’entourer d’un notaire ou d’un avocat pour une analyse fine de la situation.
Néanmoins, cette aide extérieure ne dispense pas d’une compréhension minimale.
Pour cela, une première approche consiste à dresser un inventaire des sources du droit en présence. Vous pourrez y puiser les informations nécessaires et pourrez ainsi avoir un dialogue constructif avec le professionnel que vous mandaterez.
Si une telle présentation vous semble rébarbative, vous pouvez passer directement à la partie suivante, sur les trois cas de taxation en France des successions internationales.
Nous évoquerons donc dans l’ordre :
- La loi,
- Les conventions fiscales internationales,
- La doctrine de l’administration,
- La jurisprudence,
- La doctrine.
Fiscalité des successions internationales : la loi
Les textes communs aux situations purement internes et aux successions internationales
Ce que l’on appelle couramment « droits de succession » dans le langage courant appartient à la catégorie que les fiscalistes appellent les droits de mutation à titre gratuit (DMTG).
Ces droits de mutation à titre gratuit appartiennent eux-mêmes à une catégorie plus large : les droits d’enregistrements. Les textes en la matière figurent aux articles 635 à 881 O du Code général des impôts (CGI).
Les textes propres à la fiscalité des successions internationales
La loi française régissant les successions internationales est codifiée principalement dans trois textes du Code général des impôts :
- L’article 750 ter du Code général des impôts (CGI) fixe les règles de territorialité applicable.
- L’article 784 A du CGI prévoit des règles d’élimination des doubles impositions, même en l’absence de convention fiscale.
- L’article 766 du CGI fixe une règle spéciale propre aux biens étrangers frappés d’indisponibilité par suite de mesures prises par un gouvernement étranger.
Nous reviendrons sur ces trois textes dans les développements qui suivent. Vous pouvez cliquer sur les liens hypertextes ci-dessus pour y accéder directement.
Les conventions fiscales internationales en matière de successions
La plupart des Etats de la planète ont signé une convention fiscale internationale avec la France.
Néanmoins, dans la plupart des cas, ces conventions ne concernent pas les droits de successions.
Il convient donc de distinguer trois cas :
- Situation la plus fréquente : il n’existe pas de dispositions qui régissent la fiscalité des successions internationales. La situation est alors régie uniquement par le droit interne français.
Tel est par exemple le cas avec la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, la Turquie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suisse (une convention a bien été signée, mais n’est jamais entrée en vigueur), et biens d’autres pays.
Nous verrons plus bas qu’une telle situation n’est pas forcément gênante dans la mesure où le droit français prévoit un mécanisme d’élimination des doubles impositions. - Autre situation possible : il existe une convention propre à la fiscalité des droits de donation et/ou de succession.
Le cas concerne peu de pays. Il s’agit néanmoins d’États avec lesquels la France entretient des liens importants, tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Etats-Unis, la Finlande, l’Italie, le Portugal, la Suède, et le Royaume-Uni (liste non exhaustive). - Dernière situation : il n’existe pas de convention propre aux droits de donation et/ou de succession. Mais la convention sur l’imposition des revenus et de la fortune contient des dispositions propres aux droits de succession.
Tel est par exemple le cas avec un certain nombre de Pays d’Afrique et du proche et moyen Orient, tels que l’Algérie, l’Arabie Saoudite, le Bahrein, le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, les Emirats arabes unis, le Koweit, le Liban, le Maroc, le Qatar, le Sénégal, et la Tunisie (liste non exhaustive).
La doctrine de l’administration contient une liste assez bien faite des conventions fiscales applicables, mais qui n’a pas été remise à jour depuis 2018.
Chaque convention internationale est unique.
Il existe néanmoins des traits que l’on retrouve régulièrement entre elles . Nous y reviendrons dans les développements qui suivent.
La doctrine de l’administration sur les successions internationale
Ce qu’on appelle « doctrine de l’administration » correspond à l’interprétation de la loi fiscale faite par l’administration fiscale elle-même.
Bien entendu, ces commentaires de la loi sont parfois critiquables.
Ils ont néanmoins le mérite d’exister et de donner une idée assez précise de la position de l’administration sur des questions où la loi manquerait de précision.
Ils sont publiés au bulletin officiel des Finances publiques (BOFIP) et consultables sur le site de l’administration fiscales.
De façon générale, en entrant « BOFIP » suivi des mots clefs qui vous intéressent sur votre moteur de recherche habituel, vous trouverez souvent un début de réponse à vos questions.
La jurisprudence
La jurisprudence est une source du droit importante en matière de fiscalité des successions internationales.
Les décisions en cause émanent le plus souvent de la Cour de cassation ou des tribunaux judiciaires.
En effets, les droits de donation et de succession font partie des droits d’enregistrements, dont le contentieux relève des juridictions judiciaires.
A la différence de la plupart des situations en matière fiscale, les juridictions de l’ordre administratif ne sont en principe pas compétentes.
La doctrine
En droit, on appelle « doctrine » les opinions des auteurs et jurisconsultes publiés dans les ouvrages et revues spécialisées.
L’ouvrage de mon confère Bruno Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, contient une étude sérieuse et approfondie sur la fiscalité des successions internationales.
On trouver également des éclaircissement précieux sur des points précis dans les revues juridiques spécialisées. Citons par exemple le Defrénois, la Revue de droit fiscal, ou encore l’excellente revue Ingénierie Patrimoniale. Néanmoins, leur accès est payant, et la compréhension des articles nécessite en général une formation juridique.
Internet peut également être une source intéressante, même si une certaine prudence s’impose, eu égard à la qualité variable des contenus.
Fiscalité des successions internationales : les trois cas de taxation en France
Le champ territorial de l’impôt sur les successions de droit français est fixé par l’article 750 ter du Code général des impôts.
Il s’agit du texte à examiner en premier dans l’hypothèse d’une succession comportant des éléments d’extranéité.
Il sera d’abord présenté sommairement dans la présente partie. Vous pourrez ensuite entrer dans plus de détails au sein des parties sur la détermination du domicile fiscal et sur la localisation des biens dans les successions internationales.
Mais entrons dans le vif du sujet.
L’article 750 ter du CGI prévoit trois hypothèses de taxation en France des successions internationales. Nous les étudierons successivement dans les trois sous-parties qui suivent.
- 1ère hypothèse : le défunt a son domicile fiscal en France.
- 2ème hypothèse : les biens sont situés en France.
- 3ème hypothèse : l’héritier a son domicile fiscal en France, cette condition étant également remplie pendant au moins 6 ans au cours des 10 années qui précèdent le décès.
Avant d’étudier chacune de ces trois hypothèses, rappelons que l’éventuelle convention fiscale applicable est susceptible de limiter les possibilités de taxation par l’administration fiscale française.
Succession internationale : taxation lorsque le défunt a son domicile fiscal en France
L’article 750 ter prévoit en son 1° qu’une succession est taxable en France lorsque le défunt a son domicile fiscal en France.
Le texte dispose que ce principe vaut tant pour les biens situés en France que pour ceux situés hors de France.
Ainsi, par exemple :
- Si vous êtes domicilié en Belgique et que vous héritez d’une personne domiciliée en France, vous êtes en principe taxable aux droits de successions français. Il conviendra également d’étudier la convention fiscale internationale applicable, car il existe un accord en la matière entre la France et la Belgique. En l’espèce, la convention prévoit une répartition du pouvoir d’imposer en fonction du lieu de situation des biens et du domicile du défunt. Nous serons plus précis dans la partie relative à l’élimination des doubles impositions par les conventions internationales.
- Si vous êtes domicilié en France et que vous héritez d’une personne domiciliée en France, et que la succession comporte des biens situés en Irlande, vous êtes en principe taxable aux droits de successions français. La taxation portera également sur les actifs situés en Irlande. Nous verrons néanmoins plus bas qu’un mécanisme de droit interne français permet d’éviter les doubles impositions.
Pour ne pas se méprendre sur la portée de cet article, il est indispensable de bien définir la notion de domicile fiscal. En effet, cette notion a un sens spécifique au droit fiscal international. Nous vous renvoyons sur ce point au paragraphe dédié.
Succession internationale : taxation lorsque les biens sont situés en France
L’article 750 ter du CGI prévoit en son 2° que les droits de successions sont dus en France lorsque les biens transmis sont situés en France.
La question de la localisation des biens – notamment immobiliers – pose des problèmes spécifiques, que nous examinerons dans une partie dédiée. Nous vous y renvoyons.
fiscalité des successions internationales : taxation lorsque l’héritier a son domicile fiscal en France
L’article 750 ter du CGI prévoit en son 3° que les droits de successions sont dus en France lorsque des biens sont reçus par une personne qui a son domicile fiscal en France.
Néanmoins, cette règle ne s’applique que lorsque la personne a eu son domicile fiscal en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années précédant celle au cours de laquelle il reçoit les biens. La logique de cette règle est d’éviter la taxation en France de résidents fiscaux français qui ne seraient que « de passage ».
Ici encore, pour comprendre la portée de la règle, il importe de bien cerner la notion de domicile fiscal.
Notons que la plupart des conventions fiscales s’opposent à la mise en œuvre de cette règle.
Or, les conventions fiscales internationales ont une valeur supérieure à celle de la loi dans la hiérarchie des normes.
En règle générale, la règle ne trouve donc pas à s’appliquer en présence d’une telle convention.
A ma connaissance, seule la convention fiscale internationale conclue avec l’Allemagne n’empêche pas l’application de cette règle.
Néanmoins, la règle prévue au 3° de l’article 750 ter du CGI est susceptible de s’appliquer chaque fois que la France n’a pas signé de convention fiscale internationale portant sur les successions avec le pays en cause. Cela concerne donc la majorité des cas. Néanmoins, nous verrons plus bas qu’un mécanisme de droit interne permet souvent d’éviter les doubles impositions.
Droit fiscal des successions internationales : la détermination du domicile fiscal
Nous venons de l’exposer, la soumission ou non aux droits de mutation français peut dépendre du domicile fiscal du défunt ou de l’héritier.
Il est donc nécessaire de définir le domicile fiscal.
C’est ce que nous ferons dans un premier temps, en nous concentrant d’abord sur les critères du droit interne français.
Néanmoins, si une telle étude est toujours nécessaire, elle n’est pas suffisante lorsqu’une convention fiscale portant sur les droits de succession a été conclue avec le pays en question. Dans ce cas, les critères de la résidence fiscale prévus par la convention l’emportent sur ceux du droit interne.
Il conviendra donc de les étudier dans un second temps.
Droit fiscal des successions internationales : la détermination du domicile fiscal en droit interne
Le lecteur familier des questions de domiciliation fiscale sera rassuré : les critères de domiciliation en matière de fiscalité des successions sont les mêmes que ceux applicables en matière d’impôt sur le revenu.
Ces critères sont ceux de l’article 4 B du Code général des impôts. L’article 750 ter du CGI y renvoie expressément.
J’écris « ces critères », car ils sont au nombre de trois :
- Le foyer ou le lieu de séjour principal,
- Le lieu d’exercice d’une activité professionnelle,
- Le centre des intérêts économiques.
Vous pouvez retrouver une présentation assez détaillée de certaines de ces trois notions en cliquant sur les liens ci-dessus. Je ne m’y attarde donc pas à nouveau ici.
Quelques remarques sont cependant nécessaires :
- Ces trois critères sont alternatifs. Il suffit donc qu’un seul soit rempli pour que la domiciliation française soit caractérisée.
- Contrairement à une légende tenace, il n’existe pas de « règle des 183 jours » ou de « règle des 6 mois », qui permettrait aux personnes qui passent moins de la moitié de l’année en France d’échapper systématiquement à la domiciliation fiscale française.
- Il convient toujours de vérifier s’il existe une convention portant sur les droits de succession. En effet, comme évoqué plus haut, les critères conventionnels ont une valeur supérieure à ceux du droit interne français. Passons maintenant à l’étude de ces critères conventionnels.
Succession internationale & DMTG : les critères de la résidence fiscale prévus dans les conventions internationales
Il est possible que l’application du droit interne de chacun des deux Etats en cause conduise à considérer que le défunt avait son domicile fiscal dans les deux pays.
Les conventions fiscales contiennent donc un mécanisme d’évitement de ces situations de double domiciliation.
Leur analyse permet normalement d’attribuer la résidence fiscale du défunt à un seul des deux Etats, et d’éviter ainsi des situations de double imposition.
Cette attribution de la résidence fiscale à un seul Etat se fait en principe grâce à une série de critères.
Ces critères sont « hiérarchiques et subsidiaires ». Dans le jargon des fiscalistes, cela signifie qu’il faut les examiner dans l’ordre où ils sont mentionnés dans la convention, jusqu’à ce qu’un critère ne soit rempli que dans un seul des deux Etats. C’est dans ce dernier Etat que le défunt sera considéré comme résident.
Les critères hiérarchiques et subsidiaires prévus dans les conventions fiscales internationales relatifs aux droits de succession sont en général les mêmes que ceux prévus dans les conventions propres à l’impôt sur le revenu.
Rappelons-les, en renvoyant à mes précédentes publications. Vous pouvez approfondir certains de ces critères en cliquant sur les liens hypertextes ci-après :
- Le foyer d’habitation permanent,
- Le centre des intérêts vitaux,
- Le lieu du séjour habituel,
- La nationalité,
- L’accord entre les autorités compétentes.
Ajoutons que pour être résident au sens de la convention, il faut en principe être soumis aux droits de succession par le droit interne de l’État en cause.
Encore une fois, chaque convention est unique. Ainsi, par exemple, les conventions conclues par la France avec l’Allemagne (point 3 de l’article 4) et Monaco (article 1er) contiennent des dispositions originales sur la détermination du domicile.
Successions internationales : la logique des conventions fiscales
De façon générale, les conventions fiscales en matière de succession fonctionnent selon la logique suivante :
- Elles définissent d’abord le domicile fiscal du défunt. C’est ce que nous avons étudié dans la partie précédente.
- Une répartition du pouvoir d’imposer entre les deux États est ensuite fixée, en fonction du domicile du défunt et du lieu de situation des biens.
Le plus souvent, l’Etat du dernier domicile du défunt a le droit d’imposer la totalité de la succession, à l’exception des biens immobiliers et ceux rattachables à un « établissement stable », ces-derniers étant imposables dans l’Etat où ils sont situés.
La rédaction des conventions est néanmoins différente d’un pays à l’autre et ne suit pas toujours ces règles. Ainsi, par exemple, certaines conventions prévoient que les biens meubles corporels sont en principe imposables dans l’Etat où ils se trouvent à la date du décès. Tel est notamment le cas des conventions conclues par la France avec la Belgique et le Royaume-Uni.
Il convient donc de lire attentivement la convention pour comprendre comment chaque type de bien est imposé, en fonction de sa localisation.
Nous y reviendrons plus bas. - Le lieu de situation des biens pouvant avoir une incidence sur celui de l’imposition il est donc nécessaire de localiser les biens. C’est pourquoi les conventions prévoient souvent des règles permettant de déterminer cette localisation. En effet, celle-ci ne va pas toujours de soi. Nous y reviendrons plus bas.
- Les conventions contiennent également des précisions relatives à l’imputation du passif, que nous aborderons dans une partie dédiée.
- Enfin, les conventions comprennent des règles relatives à l’élimination des doubles impositions. Nous les étudierons, de même que le mécanisme d’élimination des doubles impositions prévu par le droit interne français.
Fiscalité des successions internationales : la question de la localisation des biens au regard du droit interne français
Nous l’avons vu plus haut, le droit interne français prévoit que, lors d’une succession, sont en principe taxables en France la totalité des biens situés en France (article 750 ter, 2° du CGI).
Cette règle n’est pas si simple qu’il n’y paraît.
On étudiera ici :
- La localisation des biens meubles incorporels,
- Les dispositifs propres aux immeubles détenus via une société.
La localisation des biens meubles incorporels
La localisation de ce que les juristes appellent les « biens meubles incorporels » – c’est-à-dire, en simplifiant, tous les biens sans assise matérielle – peut-être délicate.
Ceux situés en France y sont en principe imposables, même si ni le défunt ni les héritiers n’avaient leur domicile fiscal en France.
Cette question est donc importante.
Pour autant la doctrine de l’administration sur cette question est lacunaire.
Citons-la intégralement :
« Il s’agit, en particulier, des créances sur un débiteur domicilié en France métropolitaine ou dans les départements d’outre-mer, des valeurs mobilières émises par l’État français, une personne morale de droit public française ou une société qui a, en France, son siège social statutaire ou le siège de sa direction effective et ce quel que soi la composition de son actif ; des brevets d’invention, marques de fabrique, concédés ou exploités en France, etc. ».
Il y aurait là matière à de nombreuses critiques et à de longs commentaires, et l’espace me manque pour les développer ici.
Si vous êtes concerné, sachez néanmoins que le sujet est délicat et qu’une étude approfondie de votre situation pourrait être nécessaire en cas de détention d’un bien incorporels ayant un lien avec la France.
Fiscalité des successions internationales : les dispositifs propres aux immeubles détenus via une société
Lorsqu’un immeuble est détenu par une société, celle-ci ne constitue pas un immeuble. En effet, en droit, les parts et actions de société font partie de ce que l’on appelle les « biens meubles incorporels ».
A s’en tenir à ces principes, il suffirait donc de faire détenir tous ses immeubles par une société de droit étranger pour échapper à la règle d’imposition en France des biens qui y sont situés.
C’est pour éviter un tel effet d’aubaine que le 2° de l’article 750 ter du CGI prévoit deux dispositifs propres aux immeubles détenus via une société :
- Le régime des sociétés à prépondérance immobilière (4ème alinéa du 2° de l’article 750 ter),
- Le régime des immeubles possédés indirectement (2ème alinéa du 2° de l’article 750 ter).
Avant de commenter ces ceux textes, soulignons que pour leur application, les immeubles affectés par une société à sa propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale ne sont pas pris en considération (5ème alinéa du 2° de l’article 750 ter).
Les sociétés à prépondérance immobilière
Le 4ème alinéa du 2° de l’article 750 ter du CGI dispose :
« Sont également considérées comme françaises les actions et parts de sociétés ou personnes morales non cotées en bourse dont le siège est situé hors de France et dont l’actif est principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l’actif total de la société ».
Ce texte est relativement clair.
Notons cependant deux remarques, relatives au commentaire qui en est fait par l’administration fiscale dans sa doctrine.
- Selon elle, sont notamment à prendre en considération pour apprécier la notion de prépondérance immobilière « les titres de sociétés elles-mêmes à prépondérance immobilière » (BOI-ENR-DMTG-10-10-30, n°130). Cette position défavorable au contribuable est contraire à la lettre du texte.
- Par ailleurs, la doctrine de l’administration énonce que « pour déterminer si une personne morale étrangère est à prépondérance immobilière, il convient de comparer à la valeur totale de l’actif social situé en France, la valeur des immeubles et droits réels immobiliers appartenant à la société et situés dans notre pays » (BOI-ENR-DMTG-10-10-30, n°140). Ici encore, la position de l’administration est contraire à la lettre du texte. Celui vise, au dénominateur du ratio, « l’actif total de la société », et non pas seulement celui situé en France.
Les immeubles possédés indirectement
Le texte susvisé relatif aux sociétés à prépondérance de l’administration était insatisfaisant pour l’administration.
Il conduisait en effet à exclure de l’imposition en France un certain nombre de cas de détention indirecte. Tel était le cas lorsque la valeur des immeubles en cause était importante, sans pour autant que la société détentrice soit à prépondérance immobilière.
C’est pourquoi un cas supplémentaire d’imposition a été introduit au 2ème alinéa du 2° de l’article 750 ter du CGI.
Successions internationales & immeubles possédés indirectement : rappel de la lettre du texte
Il dispose :
« Tout immeuble ou droit immobilier est réputé possédé indirectement lorsqu’il appartient à des personnes morales ou des organismes dont le donateur ou le défunt, seul ou conjointement avec son conjoint, leurs ascendants ou descendants ou leurs frères et sœurs, détient plus de la moitié des actions, parts ou droits, directement ou par l’intermédiaire d’une chaîne de participations, au sens de l’article 990 D, quel que soit le nombre de personnes morales ou d’organismes interposés ».
Le texte ajoute :
« La valeur des immeubles ou droits immobiliers possédés indirectement est déterminée par la proportion de la valeur de ces biens ou des actions, parts ou droits représentatifs de tels biens dans l’actif total des organismes ou personnes morales dont le donateur ou le défunt détient directement les actions, parts ou droits ».
fiscalité des successions internationales & immeubles possédés indirectement : commentaire du texte
Le dispositif appelle plusieurs commentaires :
- Il s’applique y compris lorsque la société n’est pas à prépondérance immobilière. Ainsi, par exemple, la taxation en France est envisageable, même si la valeur des immeubles représente moins de 10% de l’actif total ou situé en France de la société. Sur ce point le texte est d’application plus large que celui relatif aux sociétés à prépondérance immobilière étudié plus haut.
- En revanche, le texte ne s’applique que dans la mesure où le défunt et ses proches détenaient ensemble, directement ou indirectement, plus de 50% du capital de la société.
- Notons enfin que la plupart des conventions fiscales internationales relatives aux successions s’opposent à l’application de ce texte. A ma connaissance, seule la convention conclue avec l’Allemagne fait exception.
Succession internationale & fiscalité : l’élimination des doubles impositions en l’absence de convention fiscale
L’article 784 A du Code général des impôts énonce :
« Dans les cas définis aux 1° et 3° de l’article 750 ter, le montant des droits de mutation à titre gratuit acquitté, le cas échéant, hors de France est imputable sur l’impôt exigible en France. Cette imputation est limitée à l’impôt acquitté sur les biens meubles et immeubles situés hors de France. »
Ce texte appelle les remarques qui suivent.
Elimination des doubles impositions lors des successions internationales : un mécanisme prévu dans la loi elle-même
Notons d’abord qu’il figure dans la loi elle-même.
A la différence de ce qui se produit le plus souvent en fiscalité internationale, l’élimination de la double imposition est donc ici assurée – si les conditions sont remplies – même en l’absence de convention fiscale internationale.
L’existence de ce texte explique d’ailleurs en partie la rareté des conventions fiscales internationales propres aux droits de succession.
Successions internationales & articles 784 A du CGI : un champ d’application précis
L’article 784 A du CGI ne vise l’élimination des doubles impositions que dans les hypothèses visées au 1° et 3° de l’article 750 ter.
Le 1° en cause vise le cas où le défunt avait son domicile fiscal en France.
Le 3° vise celui où l’héritier ou le légataire a son domicile fiscal en France.
En revanche, le texte ne vise pas le 2° de l’article 750 ter, lequel permet l’imposition de la valeur des biens situés en France, indépendamment du domicile des parties prenantes à la succession.
Cette omission volontaire du législateur est cohérente avec la seconde phrase du texte, qui dispose que « cette imputation est limitée à l’impôt acquitté sur les biens meubles et immeubles situés hors de France ».
En conséquence, comme le fait remarquer mon confrère Bruno Gouthière dans son ouvrage de référence, « il n’y a pas de crédit d’impôt dans le cas où des valeurs mobilières françaises, considérées comme situées en France, ont été imposées à l’étranger parce qu’elles y étaient déposées ».
Pour la localisation des biens, il nous semble en effet qu’il faille se référer aux critères de droit français.
Successions internationales & élimination des doubles impositions : un mécanisme d’imputation
Le texte prévoit que l’impôt étranger s’impute sur l’impôt français.
Par construction, en l’absence d’impôt étranger, le mécanisme ne peut donc pas s’appliquer.
Ajoutons que l’imputation est bien sûr limitée au montant de l’impôt français. Si l’impôt étranger est supérieur au montant de l’impôt française, la différence n’est pas due au contribuable par l’administration française.
Successions internationales & élimination des doubles impositions : aspects pratiques
L’administration a utilement mis un formulaire à disposition du contribuable en vue de la mise en œuvre de l’article 784 A du CGI.
Il est numéroté 2740-D et est assorti d’une notice explicative assez bien faite.
Comme le rappelle cette notice, la remise du formulaire vaut demande d’imputation et doit être réalisée soit au moment du paiement des droits, soit à l’appui d’une demande de restitution.
Fiscalité des successions internationales : l’élimination des doubles impositions dans les conventions fiscales
Les conventions fiscales répartissent le droit d’imposer entre les deux États en fonction de deux critères :
- Le domicile fiscal du défunt,
- La localisation des biens.
Deux configurations sont alors possibles, que nous aborderons successivement :
- L’imposition de chaque bien est attribuée à un unique État, auquel est reconnu un droit d’imposition exclusif. Dans une telle hypothèse, on dit que la convention utilise une « méthode d’exonération ».
- Il arrive que l’imposition du bien en cause soit possible, dans les deux États, celui du domicile du défunt et celui de sa localisation. Dans une telle hypothèse, l’État du domicile du défunt peut imposer la totalité des biens, quel que soit leur lieu de situation. En contrepartie, il accorde en principe un crédit d’impôt, afin d’éliminer la double imposition. Dans une telle hypothèse, on dit que la convention utilise la « méthode de l’imputation ».
Entrons maintenant dans un peu plus de détail.
Élimination des doubles impositions dans les successions internationales : la méthode de l’exonération
Nous l’avons vu, cette méthode repose sur une délimitation sans empiètement du pouvoir d’imposer. L’État du domicile fiscal du défunt a le pouvoir d’imposer un certain nombre de biens. Les autres biens relèverons uniquement de la compétence fiscale de l’État où ils sont situés.
La règle est donc simple dans son principe.
Elle est néanmoins assortie d’une subtilité que l’on désigne sous le nom de « règle du taux effectif ».
La rationalité de la règle est de permettre une application effective du barème progressif de l’impôt sur les successions.
L’impôt est ainsi calculé sur la totalité des biens, figurant dans la succession, y compris ceux qui sont exonérés.
En revanche, il n’est effectivement dû qu’à hauteur de la quote-part des biens dont l’imposition en France est prévue par la convention.
On retrouve une telle méthode notamment dans la convention conclue avec la Belgique.
Elimination des doubles impositions dans les successions internationales : la méthode de l’imputation
Dans cette configuration, l’Etat du domicile du défunt impose la totalité des biens de la succession.
Néanmoins, il accorde au contribuable un crédit d’impôt égal à l’impôt payé à l’étranger sur les biens qui y sont situés.
Il ne peut excéder la proportion de l’impôt français correspondant aux biens à propos desquels le crédit d’impôt est octroyé.
Fiscalité des successions internationales : les biens étrangers indisponibles
L’article 766 du CGI prévoit que les modalités d’assiette et de paiement des droits de mutation par décès afférents aux titres, sommes, valeurs ou avoirs quelconques frappés d’indisponibilité hors de France par suite de mesures prises par un gouvernement étranger sont fixées par décret.
Le décret en cause a été codifié à l’article 280 de l’annexe III au CGI.
Ce dernier texte prévoit que :
- Les avoirs en cause doivent être déclarés « pour mémoire » dans la déclaration de succession. En revanche, ils ne sont pas immédiatement taxés.
- Lorsque les biens redeviennent disponibles, il convient de souscrire une déclaration complémentaire dans les 9 mois, afin qu’ils soient effectivement taxés.
- La déclaration supplémentaire visée au paragraphe précédent doit également être disposé si la fin de l’indisponibilité n’est que partielle. La taxation ne porte alors que sur les biens devenus disponibles.
- Les droits sont liquidés selon le tarif et d’après les règles applicables à la date d’ouverture de la succession et doivent être acquittés au moment du dépôt de la déclaration complémentaire.
Si les règles ainsi fixées sont simples dans leur principe, elles peuvent se révéler complexes dans leurs modalités.
En effet, il est nécessaire de se ménager la preuve que les biens ont été frappés d’indisponibilité, ce qui est susceptible de poser des questions d’interprétation de la loi étrangère.
Par ailleurs, le texte ne s’applique que si l’indisponibilité trouve sa source dans des mesures prises par un gouvernement étranger. Ni la loi ni la jurisprudence n’ont tranché la question de la nature du lien de causalité entre l’indisponibilité et la mesure prise par un gouvernement étranger. Le texte est-il susceptible de s’appliquer si les fonds deviennent indisponibles n’ont pas du fait d’une interdiction d’utiliser les fonds, mais en raison de mesures économiques désastreuses prises par un gouvernement ?
Il n’est à ce jour pas possible de répondre à cette question de façon certaine.
Bravo et merci de m’avoir lu jusqu’au bout. J’espère que cet article vous a aidé à mieux comprendre la fiscalité des successions internationales.
Bonjour Maître,
Je suis à la recherche d’une jurisprudence de la Cour de Cassation évoquant l’instruction ministérielle commentant les dispositions du 4 alinéa du 2° de l’article 750 ter du CGI se rapportant à la définition, en cette matière, d’une personne morale non résidente à prédominance immobilière, dont vous faites la critique.
Les Conventions fiscales reprenant à l’identique cet article, je m’interroge sur la possibilité d(exciper de ce texte tel qu’interprété par l’Administration française, puisqu’elle suppose que l’actif de cette personne morale soit composé au moins pour moitié de valeurs mobilières françaises, qui se retrouve elles imposables en France aux droits de mutation à titre gratuit, avec de surcroit application éventuelle du taux effectif, ce qui n’est évidemment pas forcément recherché.
Je suis à votre écoute et vous en remercie.
Bonjour
Selon moi, mieux vaut reconstituer tout simplement les recettes à partir de méthodes alternatives reconnues par la Jurisprudence.
Ainsi, dans les métiers de bouche, une reconstitution des recettes à partir des liquides et/ou solides confortée par les habitudes de consommations (visible sur les tickets de caisse) vaut largement tous les discours.
Selon moi, la meilleure défense c’est l’attaque et rien ne vaut une reconstitution « maison » qui contredise une reconstitution réalisée par l’Administration fiscale !
Bien cordialement
JRP
Bonjour M. de LARMINAT / votre article est très bien fait je vous en remercie.
pensez vous qu’on puisse invoquer l’acte anormal de gestion pour d’autres taxations que l’IS
je pense aux plus values sur cession de titres par exemple ?
(je ne vise pas le droit français car je réside à l’étranger où il existe également une notion de l’AAG)
Bonjour Monsieur,
Ce ne serait pas de l’acte anormal de gestion au sens strict. Mais l’administration pourrait refuser la déduction de certains frais de cession ou d’acquisition.