Article écrit pour les étudiants. Il expose la connexion entre la comptabilité et la fiscalité, et celle entre le bilan et le compte de résultat.
L’objectif de ces développements est de faire comprendre la logique comptable, et, d’expliquer comment celle-ci s’articule avec les dispositions de l’article 38 du Code Général des impôts. La compréhension de ces mécanismes est indispensable pour tout étudiant en droit fiscal.
A ce stade, rappelons simplement que ce texte a pour objet de soumettre à imposition le bénéfice net de l’exercice, défini comme la différence entre les valeurs d’actifs à la clôture et à l’ouverture de l’exercice. Il s’agit probablement du texte le plus important de toute la fiscalité des entreprises, tant pour les bénéfices industriels et commerciaux que pour l’impôt sur les sociétés. Nous y reviendrons plus avant.
L’objectif pédagogique ne sera atteint que si le lecteur comprend que tout est lié :
- La comptabilité et la fiscalité d’une part (I) ;
- Le bilan et le compte de résultat d’autre part (II).
On étudiera ces deux connexions dans deux parties distinctes.
La première sera courte, la seconde sera plus développée, dans la mesure où elle nécessite davantage de réflexion pour être comprise.
Connexion entre la comptabilité et la fiscalité (I)
Commençons par un plongeon au sein d’une disposition essentielle du Code général des impôts, bien qu’elle soit codifiée dans une annexe de celui-ci. Il s’agit de l’article 38 quater de l’annexe III.
Ce texte dispose :
« Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ».
Article 38 quater de l’annexe III au CGI
Ce texte à valeur de décret et à portée initialement limitée, pose le principe de la « connexion fiscalo-comptable ».
Il est aujourd’hui reconnu par la jurisprudence comme un principe général du droit.
Il en résulte que le résultat fiscal est adossé sur le résultat comptable, sauf disposition fiscale particulière.
En l’absence de texte fiscal spécial, il convient donc de se référer au droit comptable.
En effet, la comptabilité est une branche du droit.
Ainsi, une entreprise ayant en 2019 un résultat comptable de 500 000 € partira de cette base pour calculer son résultat fiscal.
En effet, le résultat fiscal est un résultat comptable retraité, modifié.
On peut donc écrire que le résultat fiscal est le résultat comptable, augmenté de réintégrations extra-comptables et diminué de déductions extra-comptables.
Pour la réalisation de ces retraitements, le comptable doit revêtir sa casquette de fiscaliste, et sortir de la législation comptable pour pénétrer dans les dispositions spéciales du Code général des impôts.
Réintégration extra-comptable – Exemple
Conformément au 2 de l’article 39 du Code général des impôts, « les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt ».
Mais ces sanctions constituent en revanche des charges comptables.
Or, supposons que l’entreprise en cause, dont le résultat comptable est de 500 000 €, ait subi un contrôle fiscal ayant engendré des majorations de 40% pour manquement délibéré d’un montant total de 100 000 €.
Ce montant doit être ajouté de façon extra-comptable au résultat fiscal de l’entreprise, de sorte que celui-ci sera de 600 000 €.
Déduction extra comptable – Exemple
L’article 209, I du Code général des impôts dispose en son 3ème alinéa que, en matière d’impôt sur les sociétés, « en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d’un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant ».
Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le détail de ce dispositif dit de « report en avant des déficits », mais simplement de considérer qu’il permet que le déficit d’un exercice antérieur constitue une charge de l’année suivante.
En conséquence, si notre entreprise avait en 2018 un déficit fiscal de 150 000 €, ledit déficit est imputable sur le résultat 2019, d’un montant, par hypothèse, de 500 000 €. Grâce à cette déduction extra-comptable, son résultat fiscal sera donc de 350 000 €.
Réintégration extra comptable et déduction extra-comptable – synthèse
Si on souhaite faire la synthèse de ces deux exemples, en considérant que c’est la même entreprise qui a fait l’objet d’une majoration pour manquement délibéré de 100 000 € en 2019 et qui a fait l’objet d’un déficit de 150 000 € l’année précédente, son résultat fiscal de 2019 sera donc le suivant :
Résultat fiscal = résultat comptable + réintégrations extra-comptables – déductions extra-comptables.
Résultat fiscal = 500 000 + 100 000 – 150 000
Résultat fiscal = 450 000 €
La maîtrise des seules règles fiscales n’est donc pas suffisante pour le fiscaliste.
C’est pourquoi il est indispensable pour lui de comprendre la logique comptable. C’est ce que l’on s’attachera à faire à travers l’étude de la connexion entre le bilan et le compte de résultat.
- Pour résumer, le résultat comptable est augmenté des produits regardés comme imposables alors que ce ne sont pas des produits comptables, ainsi que des charges comptables qui ne sont pas fiscalement déductibles.
- Il est également diminué des produits comptables non imposables et des charges déductibles fiscalement qui ne sont pas passées en comptabilité.
Connexion entre le bilan et le compte de résultat (II)
L’étude de la connexion entre le bilan et le résultat est plus complexe que celle de la connexion fiscalo-comptable étudiée ci-avant.
En effet, la seconde implique uniquement l’assimilation d’un principe général du droit. Son caractère normatif la rend facilement compréhensible pour le juriste.
A l’inverse, la première ne résulte pas d’abord d’un principe normatif, mais elle résulte, par construction, du mode de passation des écritures comptables.
Pour comprendre cette connexion, il convient d’avoir à l’esprit les principes qui régissent la passation des écritures comptables (A), et d’étudier les dispositions des 1. et 2. de l’article 38 du CGI (B).
Sur la passation des écritures comptables (A)
Après une courte introduction (1), on étudiera les principes qui régissent les comptes de classe 1 à 5 (2), puis ceux qui régissent les comptes de classe 6 et 7 (3).
Introduction à la passation des écritures comptables (1)
Avant d’entrer un peu plus dans le détail, il est indispensable de garder à l’esprit les principes de base suivants.
Chaque événement ayant une influence sur la valeur ou la composition du patrimoine de l’entreprise donne en principe lieu à une ou plusieurs écritures comptables.
Corrélativement, les écritures comptables enregistrent uniquement des changements dans la valeur ou la composition du patrimoine.
Il en résulte qu’il n’existe que trois grands types d’écritures comptables : celles qui constatent un enrichissement de l’entreprise, celles qui constatent un appauvrissement, et celles qui enregistrent un changement dans la composition du patrimoine de l’entreprise, sans enrichissement ni appauvrissement.
Chaque écriture comptable se traduit par une double inscription :
- Une inscription au débit d’un compte (à gauche) ;
- Une inscription au crédit d’un autre compte (à droite).
C’est pourquoi on parle, pour désigner ce mécanisme, de comptabilité à partie double.
Il n’y a pas lieu de s’attarder sur les termes conventionnels de « débit » et de « crédit ».
Il s’agit d’une pure convention et les deux termes auraient très bien pu être inversés, tout comme on aurait pu choisir des termes différents.
L’analogie avec le sens courant de ces termes ne fonctionne donc pas toujours. Le Professeur COZIAN, fiscaliste célèbre, aurait dit un jour à propos de la comptabilité : « on ne comprend pas, on s’habitue »…
Il existe plusieurs types de comptes, 8 exactement, qu’on appelle des « classes » de comptes.
Chaque classe de comptes est composée d’une liste de comptes, qui constituent des catégories particulières de cette classe.
Ces comptes sont numérotés, et le premier chiffre de chaque compte correspond au numéro de la classe de compte dont il fait partie.
Ainsi, par exemple, les comptes de « classe 2 », sont les comptes dis « d’immobilisation ». On y trouve par exemple les terrains nus (compte n° 2111) ou les terrains aménagés (compte n° 2112).
Les classes de comptes sont numérotées de 1 à 8, intitulés :
- Comptes de capitaux (classe 1),
- Comptes de d’immobilisations (classe 2),
- Comptes de stocks et en-cours (classe 3),
- Comptes de tiers (classe 4),
- Comptes financiers (classe 5),
- Comptes de charges (classe 6),
- Comptes de produits (classe 7),
- Comptes spéciaux (classe 8),
La grande summa divisio à retenir est celle qui distingue les comptes des comptes de classes 1 à 5 des comptes de classes 6 et 7.
Les comptes de classe 8 ne nous intéressent pas ici : ce sont des comptes spéciaux.
Les comptes de classe 1 à 5 sont des comptes dits de « bilan ». Nous y reviendrons.
Les comptes de classe 6 et 7 sont les comptes de produit (classe 7) et les comptes de charge (classe 6). Nous y reviendrons également. Mais étudions d’abord les principes régissant les comptes du bilan.
Principes régissant les comptes dits du « bilan » (2)
Les comptes du bilan : première approche
De façon imagée, on peut considérer le bilan comme la photographie du patrimoine de l’entreprise.
Concrètement, il se présente comme une liste des éléments actifs et passifs de l’entreprise, classés en commençant par les moins liquides et en terminant par les plus liquides.
Voici une présentation simplifiée de la structure du bilan d’une entreprise :
Le bilan est établi chaque année en fin d’exercice à partir des soldes des comptes de classe 1 à 5.
En effet, ces comptes enregistrent les éléments qui composent le patrimoine de l’entreprise. Lorsque l’entreprise s’enrichit ou s’appauvrit, un compte de classe 1 à 5 est débité ou crédité concomitamment avec un compte de classe 6 ou 7.
A l’inverse, lorsqu’une opération ne donne lieu qu’à des mouvements de comptes des classes 1 à 5, l’entreprise ne s’enrichit pas et ne s’appauvrit pas. Il y a simplement un changement dans la composition de son patrimoine.
Par exemple, si un client paye une société, celle-ci ne s’enrichit pas ni ne s’appauvrit.
Ouvrons ici une parenthèse pour préciser au lecteur qui serait étonné par cette affirmation que comptablement, l’enrichissement n’a lieu qu’au moment de la constatation de l’existence de cette créance sur le client. Mais refermons-la aussitôt pour en conclure que lors d’un paiement fait par un débiteur à une entreprise, une créance est simplement remplacée par de la monnaie dans son patrimoine.
Le système de la partie double trouve alors tout son sens, lors du paiement, un compte financier va prendre de la valeur, tandis qu’un compte de fournisseur va perdre de la valeur.
Comptes d’actif et comptes de passif
Il existe deux grandes catégories de compte de bilan : les comptes d’actif et les comptes de passif.
Les comptes d’actif servent à inscrire un droit sur un bien (exemple : propriété) ou une créance vis-à-vis d’un tiers. Ils figureront à gauche du bilan, comme il apparaît dans le bilan simplifié qui figure plus haut.
Les comptes de passif servent à inscrire les ressources de l’entreprise (capitaux propres et ressources externes). Ils figureront à droite du bilan.
Les comptes du bilan entrent nécessairement dans l’une ou l’autre de ces catégories. De fait, dans un patrimoine donné, il ne saurait y avoir autre chose que des droits sur des biens ou sur des choses et des créances et obligations vis-à-vis de tiers.
En outre, par construction, le bilan respecte toujours l’égalité TOTAL DE L’ACTIF = TOTAL DU PASSIF.
Cela s’explique par le fait que toutes les ressources de l’entreprise (passif) sont nécessairement affectées à un poste particulier de l’actif.
Mais présentons à ce stade la distinction entre les comptes d’actif et les comptes de passif.
Comptes d’actif
Ce sont essentiellement les comptes suivants :
- Les comptes d’immobilisation (classe 2),
- Les comptes de stocks (classe 3),
- Certains comptes de tiers (classe 4) : ceux qui constatent des créances vis-à-vis de tiers, essentiellement les comptes clients,
- Les comptes financiers (classe 5).
Ces comptes constatent l’augmentation du patrimoine au débit (à gauche) et sa diminution au crédit (à droite).
Rappelons qu’il s’agit là d’une convention, dont le caractère contre-intuitif ne doit pas troubler l’étudiant. Pour ceux à qui il apparaitrait incongru qu’une richesse figure au débit d’un compte, ils n’ont qu’à raisonner en pensant « gauche » et « droite ».
Comptes de passif
Ce sont essentiellement :
- Les comptes de capitaux (classe 1) ;
- Certains comptes de tiers (classe 4) : ceux qui constatent des dettes vis-à-vis de tiers.
Ces comptes constatent la diminution d’une dette au débit et l’augmentation d’une dette au crédit.
- Illustration : paiement à un fournisseur d’une dette de 100 €
Les écritures passées devront ici traduire un double changement dans le patrimoine de l’entreprise :
- D’une part une sortie de trésorerie ;
Pour ce faire, il conviendra donc de créditer un compte d’actif du bilan. Comme nous l’avons vu, ces comptes constatent l’augmentation du patrimoine au débit (à gauche) et sa diminution au crédit (à droite)
2. D’autre part l’extinction d’une dette ;
Pour ce faire, il conviendra de débiter un compte de passif du bilan. Comme nous l’avons vu, ces comptes constatent la diminution d’une dette au débit et l’augmentation d’une dette au crédit.
L’écriture comptable à passer sera donc de cet ordre :
On constate que le principe de la partie double est bien respecté. On a une première écriture au débit d’un compte, et une seconde au crédit d’un autre compte.
Dans une telle hypothèse, les écritures passées concernent uniquement des comptes de bilan (comptes de classes 1 à 5).
En conséquence, elles n’auront aucun impact sur le résultat de l’entreprise. Seule la composition de son patrimoine est changée, mais en aucun cas sa valeur.
Néanmoins, comme on l’imagine, certains événements sont de nature à produire un enrichissement ou un appauvrissement de l’entreprise. Ces événements vont donner lieu à des écritures au sein des comptes de classe 6 (comptes de charge) et 7 (comptes de produit).
Principes régissant les comptes de produits et les comptes de charges (3)
Ces comptes permettront l’établissement du « compte de résultat ».
Principe
Certains événements vont entraîner un enrichissement ou un appauvrissement de l’entreprise.
Les enrichissements sont en général enregistrés au crédit d’un compte de produit (classe 7).
Ces comptes de produit recensent l’ensemble des types de profits susceptibles d’être réalisés par une entreprise : produits d’exploitation, produits exceptionnels, produits financiers…
A l’inverse, les appauvrissements sont le plus souvent enregistrés au crédit d’un compte de charge (classe 6).
Les comptes de charges comprennent une rubrique pour chaque type de charges pouvant être réalisé par une entreprise : salaires, services extérieurs, charges financières…
L’enrichissement ou l’appauvrissement se fait nécessairement au bénéfice ou au détriment d’un élément du patrimoine. En conséquence, en contrepartie de l’écriture au débit d’un compte de classe 6 ou au crédit d’un compte de classe 7, un compte de classe 1 à 5 connaîtra nécessairement une écriture en sens inverse.
Illustrons ce point par un exemple.
Exemple : l’acquisition d’une prestation de service pour une valeur de 100 €
Par hypothèse, et pour nous concentrer sur les aspects liés à l’imposition du résultat, cette prestation n’est pas soumise à la TVA.
L’entreprise s’appauvrit de la valeur de la prestation. On va donc débiter un compte de classe 6.
Il faut alors se demander quel compte du bilan est affecté par cet appauvrissement.
Il s’agit en l’espèce d’un compte fournisseur (compte de passif de classe 4).
Or, comme on l’a vu, les comptes de passif constatent la diminution d’une dette au débit et l’augmentation d’une dette au crédit.
Un compte fournisseur sera donc crédité.
Cette dernière écriture a pour effet de matérialiser une diminution du patrimoine de l’entreprise.
Les écritures passées sont donc les suivantes :
Le compte de résultat
En fin d’exercice, un « compte de résultat » est établi par l’entreprise.
Alors que le bilan donne une photographie du patrimoine de l’entreprise en fin d’exercice, le compte de résultat synthétise l’ensemble des enrichissements et appauvrissements réalisés par l’entreprise.
Le tableau qui suit est un compte de résultat très simplifié.
Sur les 1. et 2. de l’article 38 du CGI (B)
Nous voilà suffisamment armés pour aborder l’étude de l’article 38 du Code général des impôts.
Il dispose notamment :
1. Sous réserve [de certaines dispositions], le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation.
2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés.
Ce texte a pour objet de définir le bénéfice imposable de l’entreprise.
On constate que deux définitions du résultat imposable sont données, l’une au 1., et l’autre au 2.
Comme on va le voir, ces deux définitions sont équivalentes.
En effet, il existe deux modalités de calcul du bénéfice, qui renvoient au 1. et au 2. de cet article.
- La première définition renvoie à un calcul du bénéfice par les comptes de classe 6 et 7 (approche par le compte de résultat)
Elle invite à soustraire aux enrichissements les appauvrissements constatés dans ces comptes.
- Le calcul du bénéfice par les comptes de classe 1 à 5 (approche par le bilan)
Cette méthode consiste à soustraire à la valeur du patrimoine en fin d’exercice la valeur du patrimoine en début d’exercice.
En réalité, ces deux méthodes aboutissent strictement aux mêmes résultats.
Une telle équivalence entre les deux définition résulte de la structure des règles qui régissent la comptabilité, telles qu’elles ont été étudiées plus haut.
Merci pour cet article très complet ! Le droit et la finance sont des disciplines passionnantes, complexes et très imbriquées. Je le vois tous les jours dans mon métier de traducteur…