Les particuliers lotisseurs font l’objet de contrôles fiscaux relatifs à la TVA. Les redressements portent parfois aussi sur l’impôt sur le revenu. Ils peuvent être assortis de diverses majorations, allant jusqu’à celles de 80% pour activité occulte.
Les conséquences financières du contrôle fiscal peuvent être considérables.
Le fisc n’hésite pas à remonter jusqu’à 10 ans en arrière.
Une partie – mais une partie seulement – de ces redressements est sans doute compréhensible.
Il arrive également que l’analyse de l’administration soit justifiée sur la TVA, mais que les redressements sur les majorations et/ou sur l’impôt sur le revenu ne le soient pas.
Dans d’autres cas, les redressements méritent d’être vigoureusement contestés en totalité.
Il arrive enfin d’avoir à connaître de situations où les arguments à décharge devront être exploités pour négocier la transaction la plus avantageuse possible, sans aller au contentieux.
L’objet du présent article est précisément d’aborder une partie des arguments à décharge, que ce soit dans une optique de négociation ou de contestation.
Particulier, lotissement & viabilisation : présentation du sujet
La situation ici étudiée se présente en général ainsi :
Un particulier est propriétaire d’un terrain.
Afin d’en tirer un meilleur prix à la revente, il décide de le scinder en lots.
Préalablement à la vente, le particulier procède à la viabilisation ou à l’aménagement du terrain.
Or, dans le cadre d’un contrôle fiscal, l’administration considère que ce particulier est assujetti à la TVA.
Comme on va le voir, une telle position n’a en soi rien d’évident.
Particulier lotisseur & TVA : la position du Conseil d’État
Les juristes savent que le Conseil d’État est en principe juge de cassation en matière fiscale.
C’est donc vers lui que doit se tourner notre regard pour comprendre les grandes orientations de la jurisprudence.
Vente de terrain à bâtir par une personne physique: présentation de l’arrêt du Conseil d’État du 9 juin 2020
L’arrêt de référence a été rendu par le Conseil d’État en juin 2020 (CE, 9 juin 2020, n°432596).
Il y énonce que « la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière« .
De telles démarches résultent selon lui de « la réalisation de travaux de viabilisation » ou de « la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel«
Dans les deux cas, ces démarches doivent être « similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services ».
En l’espèce, les travaux de viabilisation représentaient plus de 40% du prix de vente, ce qui avait poussé l’administration, suivie en cela par la Cour administrative de Bordeaux, à considérer que des démarches actives de commercialisation avaient été mises en œuvre.
On retiendra de cet arrêt que l’assujettissement à la TVA dans une telle configuration suppose des démarches actives de commercialisation.
Pour qu’elles soient caractérisées, il faut alternativement:
- Soit des travaux de viabilisation,
- Soit la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel.
Dans les deux cas, les démarches engagées doivent être similaires à celles déployées par un professionnel.
Vente de terrain à bâtir par une personne physique: portée de l’arrêt du Conseil d’État du 9 juin 2020
Si le Conseil d’État n’infirme pas l’analyse de l’administration, il ne la confirme pas non plus. La cassation n’est pas un degré de juridiction supplémentaire. Le Conseil d’État ne juge pas à nouveau l’affaire, mais exerce un contrôle juridique sur l’arrêt attaqué.
Or, en l’espèce, le Conseil d’État se contente de renvoyer à « l’appréciation souveraine des faits non arguée de dénaturation » en ce qui concerne les démarches actives de commercialisation.
Autrement dit – hors hypothèse exceptionnelle de dénaturation – l’appréciation des démarches actives de commercialisation relève de l’appréciation souveraine des juridictions du fonds, et pas du Conseil d’État.
C’est donc vers les décisions des juridictions du fond que doit se tourner notre regard.
Contrôle fiscal du particulier lotisseur : la position des juridictions du fond
On appelle juridictions du fonds celles qui jugent à la fois du fait et du droit. Pour le sujet qui nous occupe, il s’agira des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
L’administration a beau jeu de mettre en avant l’arrêt susvisé du 9 juin 2020 pour justifier ses redressements.
En réalité, une analyse fine des décisions des juridictions du fond révèle que sa position est souvent moins solide qu’elle ne le prétend.
Cette analyse est d’autant plus importante que c’est précisément le Conseil d’État lui-même qui laisse à ces juridictions un pouvoir d’appréciation dit « souverain ». Cela implique que les juges ont une certaine marge d’appréciation.
Or, cette marge d’appréciation est parfois utilisée dans un sens favorable au contribuable.
Ne citons ici qu’un seul exemple, particulièrement intéressant.
Lotissement, viabilisation & TVA : jugement du tribunal administratif de Toulon du 24 octobre 2022
Le tribunal administratif de Toulon a rendu une décision intéressante le 24 octobre 2022 :
En l’espèce, la société de personnes en cause :
- Avait été constituée dans le but de l’opération,
- Était dirigée par des professionnels de l’immobilier,
- Avait souscrit un emprunt destiné à couvrir l’intégralité de l’achat du terrain ainsi qu’un emprunt complémentaire. Cet emprunt in fine comportait une échéance de deux ans, ce qui selon le tribunal « témoigne nécessairement de la volonté de revendre le bien à brève échéance afin de réaliser un bénéfice ».
Par ailleurs, un délai très faible s’était écoulé entre l’acquisition du bien, le 21 février 2014 et la cession du terrain à bâtir après division parcellaire et viabilisation, le 31 octobre 2015, puis la vente de la maison à usage d’habitation, le 23 mai 2016, après avoir réalisé des travaux permettant de valoriser ce bien.
Le tribunal énonce néanmoins :
« Il ne résulte pas davantage de l’instruction que cette dernière aurait entrepris, en vue de la réalisation de l’opération de cession en litige, des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un « assujetti agissant en tant que tel » au sens des dispositions précitées ».
Le tribunal ajoute :
« Par suite, l’opération de cession des terrains en litige, qui doit être regardée comme une opération occasionnelle réalisée dans la cadre de l’exercice du droit de propriété des associés de la SCI Saint-Louis, ne constitue pas une opération économique au sens de la législation ».
Relevons qu’il s’agit d’une décision définitive.
Il existe donc une ligne jurisprudentielle favorable aux particuliers lotisseurs.
Particulier, lotissement, viabilisation : exemple de jurisprudence défavorable
Il existe malheureusement aussi des décisions qui donnent raison à l’administration.
Citons à ce titre un arrêt du Conseil d’État du 14 décembre 2021 n°441861 qui casse un arrêt de la CAA de Bordeaux n°18BX01002 du 20/05/2020.
L’arrêt attaqué avait jugé :
« En commercialisant les terrains ainsi reçus par donation M.E s’est borné à gérer son patrimoine immobilier en exerçant les droits afférents à sa qualité de propriétaire, sans mettre en œuvre les moyens commerciaux utilisés par les professionnels de la vente immobilière. Par suite, et nonobstant les travaux de viabilisation des terrains et l’importance des recettes tirées des ventes en cause, M.E est fondé à soutenir que c’est à tort que le service a estimé que les opérations litigieuses étaient soumises à la TVA ».
Le Conseil d’État casse cette décision en énonçant :
« Par suite, en jugeant qu’en l’absence de mise en œuvre de moyens commerciaux du type de ceux qui sont utilisés par les professionnels de la vente immobilière, et quels qu’aient été les travaux de viabilisation réalisés, les opérations de cessions de terrains à bâtir litigieuses ne pouvaient être regardées comme une activité économique passible de la taxe sur la valeur ajoutée, la cour a commis une erreur de droit. »
Ainsi la Cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que « quels qu’aient été les travaux de viabilisation réalisés » les cessions en cause ne pouvaient être regardées comme une activité économique passible de la taxe sur la valeur ajoutée.
Il ressort dont de l’arrêt du Conseil d’État qu’il faut distinguer entre les travaux de viabilisation qui conduisent à l’assujettissement à la TVA, et ceux qui n’y conduisent pas.
Malgré le caractère défavorable de l’arrêt, il pose les jalons d’un moyen de défense intéressant.
En effet, il résulte de cette jurisprudence que tous les travaux de viabilisation ne constituent pas nécessairement des démarches actives de commercialisation.
Il faut donc distinguer.
A mon sens, le seul critère pertinent est celui posé par le Conseil d’État dans son arrêt cité plus haut en date du 9 juin 2020 :
Pour que l’assujettissement soit possible, il faut que les démarches engagées soient similaires à celles déployées par un professionnel.
Or, pour apprécier ce critère, l’administration se fonde sur le rapport entre le coût des travaux et le prix de vente des terrains.
L’objet du paragraphe suivant sera de démontrer qu’un tel critère n’est pas pertinent.
Particulier, lotissement, viabilisation, & TVA : la question du coût des travaux
Le rapport entre coût des travaux et prix de vente du terrain dépend bien sûr du prix payé pour la viabilisation, mais également du coût du foncier.
Autrement dit, moins le foncier est cher, plus la part du coût de la viabilisation sera importante.
On peut ainsi lire :
« Pour revenir sur le prix d’un terrain viabilisé, il tourne autour de 130 €/m2 en moyenne à l’échelle de la France pour l’année 2018. Mais ce prix de vente peut varier d’un département à l’autre, voire d’une commune à l’autre au sein d’un même département. Ainsi, un particulier qui a acheté un terrain constructible viabilisé a du payer à l’époque :
– 26 €/m2 si le bien en question se trouvait dans l’Allier,
– 34 €/m2 pour un terrain situé dans le Cantal,
– 127 €/m2 si le terrain était implanté dans l’Isère,
– 1 027 €/m2 s’il se trouvait en Hauts-de-Seine ».
Le coût d’un terrain viabilisé est très variable d’une région à l’autre, alors que le coût des travaux de viabilisation n’est pas ou peu tributaire de la zone géographique.
Le fait de vendre un terrain dans une zone où le foncier est relativement peu cher augmente mécaniquement la part du coût des travaux de viabilisation dans le prix de revente.
En conséquence, le rapport entre coût des travaux et prix de vente peut évoluer fortement entre deux opérations, alors même que les travaux de viabilisation seraient exactement les mêmes!
Cela n’a absolument aucun sens.
Si certaines décisions de justice semblent retenir un tel critère, il nous semble que c’est parce-que les faits de l’espèce, pris de façon plus générale, autorisaient l’assujettissement à la TVA.
Pour ma part, je défends l’idée qu’il faut retenir un faisceau d’indice tenant compte de l’ensemble des faits de l’espèce :
- Ampleur des travaux,
- Mode de réalisation des travaux,
- Implication du vendeur dans leur réalisation,
- Etc.
Contrôle fiscal du particulier lotisseur : la question de requalification en marchand de biens
Lors des contrôles, il arrive que l’administration déduise la requalification en marchand de biens de l’assujettissement à la TVA.
Or, les critères ne sont pas les mêmes.
Une telle démarche constitue donc une erreur de droit.
Pour qu’une requalification en marchand de biens soit possible, deux conditions doivent être remplies:
- Une condition d’habitude,
- Une condition d’intention spéculative.
Pour que les redressements soient justifiés, l’administration doit justifier de ces deux conditions de façon distinctes.
J’ai déjà évoqué ce sujet dans mon article intitulé cession de résidence principale, marchand de biens et abus de droit.
Particulier, lotissement, viabilisation, & TVA : la question des majorations de 80% pour activité occulte
Dans ce type de contentieux, certains services vérificateurs appliquent des majorations de 80% pour activité occulte.
J’ai déjà en partie évoqué une problématique connexe dans un article précédent, portant sur la question particulière des activités occultes en matière de fiscalité internationale.
Les enjeux sont ici comparables.
L’absence de déclaration de l’activité permet effectivement à l’administration de considérer que la dissimulation est occulte et que de telles majorations peuvent être appliquées.
Néanmoins, il vous est possible d’apporter la preuve contraire.
Il convient pour cela de démontrer que vous avez commis une erreur involontaire.
Or, dans bien des cas, le caractère involontaire de l’erreur touche à l’évidence :
- Les conclusions du rapporteur public sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 juin 2020 reconnaissent elles-mêmes qu’il y avait matière à hésitation. Dans cette affaire, l’administration avait appliqué des majorations de 40%, lesquelles ont été ramenées à 10%.
- Nous avons cité un arrêt de la CAA de Bordeaux qui avait d’abord donné raison au contribuable. Cet arrêt a ensuite été cassé par le Conseil d’État. Si la CAA de Bordeaux ignorait les règles applicables, comment un simple particulier pourrait il les connaître?
- Nous avons cité un arrêt favorable aux contribuables du TA de Toulon en date du 24 octobre 2022. L’administration n’a pas fait appel de ce jugement, preuve qu’elle considérait elle-même que la position du non assujettissement à la TVA était défendable, et ce même après l’arrêt du Conseil d’État du 9 juin 2020 susvisé.
Une analogie est également possible avec la jurisprudence sur le caractère occulte de l’activité des joueurs de poker.
Notons que l’argumentaire sur l’erreur involontaire aura d’autant plus de force que les faits seront anciens.
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