Le monde de la la vente à réméré, ou vente avec faculté de rachat, subit des redressements fiscaux en matière de droits d’enregistrement.

L’administration fiscale tente de remettre en cause le régime de faveur de l’article 1115 du Code général des impôts (régime dit des marchands de biens). Cette position est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation et au bon sens.

L’administration fiscale semble avoir décidé de s’attaquer aux professionnels de la vente à réméré.

On connaît ses habitudes lorsqu’elle décide de s’attaquer à un secteur ou à une problématique déterminée.

Au moins deux stratégies sont alors possibles :

  • L’attaque en masse d’une part. L’administration fiscale procède à des redressements sur l’ensemble du secteur. Cette stratégie est souvent adoptée lorsque l’administration est relativement sûre d’elle.
  • L’attaque ciblée d’autre part. L’administration fiscale s’attaque alors à un nombre limité d’entreprises du secteur. Elle teste ainsi quelques « dossiers pilotes ». Ce n’est que si le juge de l’impôt conforte sa position qu’elle s’attaquera à l’ensemble du secteur. Dans le cas contraire, elle abandonne sa position.

Les professionnels de la vente à réméré sont aujourd’hui dans la ligne de mire et c’est pour l’instant la deuxième stratégie qui est adoptée.

Si le lecteur a connaissance d’autres contentieux, qu’il n’hésite pas à me contacter. J’apprécierais d’échanger librement sur le sujet.

Je ne traite ici que des problématiques propres aux droits d’enregistrement, mais je suis également des contentieux en matière de TVA.

Vente à réméré et régime des marchands de biens : la question de l’article 1115 du CGI

J’exposerai d’abord le régime de faveur prévu par ce texte. Je présenterai ensuite ce qu’est la vente à réméré.

Nous aborderons alors la position de l’administration fiscale.

L’article 1115 du CGI et le régime dit des « marchands de biens »

L’article 1115 du CGI dispose notamment :

« Les acquisitions d’immeubles, de fonds de commerce ainsi que d’actions ou parts de sociétés immobilières réalisées par des personnes assujetties [à la TVA] sont exonérées des droits et taxes de mutation quand l’acquéreur prend l’engagement de revendre dans un délai de cinq ans ».

Autrement dit, lorsqu’un professionnel acquéreur d’un bien immobilier prend l’engagement de le revendre dans les cinq ans, il est exonéré de droits de mutation.

Le principe est donc relativement simple.

La vente à réméré, autre nom de la vente avec faculté de rachat

L’article 1659 du Code civil dispose:

« La faculté de rachat ou de réméré est un pacte par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement dont il est parlé à l’article 1673 ».

Ce texte introduit les dispositions du Code civil relatives à la vente à réméré.

Pour dire les choses en simplifiant aussi peu que possible, dans une vente à réméré, l’acquéreur s’engage à restituer le bien si le vendeur en fait la demande.

En contrepartie, le vendeur initial doit bien sûr restituer le prix, ainsi que diverses sommes.

Cette faculté dite de « rachat » ou de « réméré », doit être exercée dans un certain délai, qui ne peut excéder cinq ans.

Vente à réméré : la position de l’administration fiscale

En pratique, les professionnels de la vente à réméré se placent sous le régime de l’article 1115 du CGI.

Lorsque la personne à qui ils ont acheté un immeuble exerce sa faculté de rachat, le professionnel de la vente à réméré considère bien évidemment que l’engagement de revendre dans les cinq ans a été respecté.

L’exonération de droits de mutation lors de l’acquisition initiale doit donc être maintenue.

Or, l’administration remet précisément en cause le maintien de cette exonération.

Elle considère en effet, que l’exercice de la faculté de rachat ne correspond pas à une revente, mais à une résolution du contrat initial.

Les développements qui suivent résument une partie de l’argumentaire à invoquer pour combattre les prétentions de l’administration fiscale.

Vente à réméré et article 1115 du CGI la position du juge de l’impôt

La jurisprudence judiciaire en matière d’application de l’article 1115 du Code général des impôts à la vente à réméré est extrêmement rare.

Il semble d’ailleurs n’exister qu’une seule décision publiée.

Régime fiscal de la vente à réméré : l’arrêt Péronne (Cass. Com. 2 juin 1992, n°90-18381)

Cette décision émane de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. Com. 2 juin 1992, n°90-18381).

Elle juge, implicitement mais nécessairement, que l’exercice de son option par le vendeur initial dans le cadre d’une vente à réméré n’exclut pas l’application de l’exonération de l’article 1115 susvisé par l’acquéreur initial.

Présentation des faits : une vente avec faculté de rachat

Dans cette affaire, la situation initiale était la suivante :

  • Une société, la société Péronne avait acquis, le 27 octobre 1981, un immeuble de la société Chanteberger.
  • Cette dernière société se réservait dans l’acte une faculté de retrait par réméré (faculté de rachat).
  • La société Péronne s’est placée sous le régime de l’article 1115 du Code général des impôts, s’engageant à revendre l’immeuble dans les 5 ans.
  • La société Péronne n’a pas tenu cet engagement.
  • Mais la société Péronne a alors soutenu que la vente avait été annulée, par l’exercice, dans le délai légal de 5 ans, de son droit à réméré par le vendeur.

Arrêt Péronne : solution du problème

Toute la question était alors de savoir si, oui ou non, le vendeur initial avait exercé sa faculté de rachat dans le délai de cinq ans.

En l’espèce, la société Péronne ne justifiait pas de l’exercice de cette faculté de rachat par la société Chanteberger.

La Cour de cassation refuse donc l’application de l’article 1115 du CGI..

A contrario, il résulte implicitement de cet arrêt que l’exonération aurait été justifiée si la faculté de rachat avait effectivement été exercée.

Vente à réméré : les conclusions de l’arrêt Péronne

La nécessité d’une interprétation a contrario résulte :

  • D’une part, du fait que la Cour de cassation a eu besoin de trancher la question de savoir si la faculté de réméré avait ou non été exercée pour résoudre le litige.
  • D’autre part, de la formulation de l’attendu final de la décision. Elle y énonce en effet « qu’il incombait à la société Péronne, qui faisait état de la perte de sa propriété du fait du retrait, d’en justifier ».

Pour elle, une simple « perte de la propriété » suffit pour que l’exonération de l’article 1115 du CGI s’applique.

Cette interprétation s’impose d’autant plus qu’elle est confirmée par la Revue de jurisprudence fiscale (RJF) dans un commentaire anonyme. Or, ces commentaires anonymes publiés à la RJF émanent le plus souvent de la juridiction elle-même.

Ce commentaire énonce :

« Pour l’application du régime prévu en faveur des marchands de biens, l’exercice du droit de retrait, intervenant dans le délai de cinq ans, dispense le marchand de biens du paiement des droits exigibles en cas de défaut de revente dans ce délai ».

On ne saurait être plus clair.

Vente à réméré et droits d’enregistrement : conclusion pratique

L’administration a certes des arguments à présenter.

Mais ces arguments sont contraires à la position non équivoque de la Cour de cassation.

Les entreprises concernées ont donc intérêt à se défendre avec énergie, au moins jusqu’à ce que la Cour de cassation se prononce à nouveau.

Ce n’est que dans l’hypothèse d’un revirement de jurisprudence que l’administration fiscale se verrait confortée dans sa décision.

A l’inverse, si la Cour de cassation renouvelle sa position, les sociétés en cause qui auront exercé l’ensemble des voies de recours pourront faire valoir leurs droits et les redressements seront abandonnés.