L’article 155 A du Code général des impôts (CGI) est un dispositif anti-abus qui permet parfois à l’administration fiscale de redresser un contribuable sur des sommes qu’il n’a pas perçues, mais qui ont été versées à l’étranger.

L’article 155 A du CGI est de plus en plus utilisé par l’administration dans des situations qui ne se justifient absolument pas.

Si vous avez fait l’objet de redressements à ce titre, une explication du texte et de la jurisprudence applicable est nécessaire. Tel est l’objet du présent article.

Cette lecture vous permettra d’éclairer votre situation particulière. Vous pourrez ensuite choisir la stratégie la mieux adaptée.

Je commencerai par une présentation assez générale des situations visées, avant d’entrer dans le détail des points de défense à envisager.

Article 155 A du CGI : situations visées

L’article 155 A du Code général des impôts est un dispositif anti-abus.

A l’origine, il visait plus particulièrement les artistes et les sportifs. Néanmoins, la pratique de l’administration et la jurisprudence ont étendu son champ d’application à d’autres opérateurs.

L’article 155 A du CGI : un dispositif anti-abus

L’article 155 A du code général des impôts est un dispositif anti-abus destiné à lutter contre l’évasion fiscale. 

Il vise en premier chef la situation suivante :

  • Une personne réalise une prestation de service en France. Cette personne peut être qualifiée de « prestataire réel ».
  • Néanmoins, ce prestataire réel n’est pas rémunéré directement. En effet, il fait en sorte que sa rémunération soit versée à une société établie à l’étranger, que l’on qualifie de « prestataire apparent » ou de « personne interposée ».

Avec un tel schéma, le prestataire réel échappe à toute imposition immédiate en France.

Seul le prestataire apparent supporte éventuellement une imposition. Mais cette imposition a lieu dans un autre pays et, le plus souvent, selon des taux nettement plus avantageux qu’en France.

L’article 155 A du CGI vise précisément à empêcher une telle « évasion fiscale ».

L’administration est en droit, si les conditions sont remplies, de taxer directement la rémunération de la prestation de service entre les mains de celui qui l’a réalisée.

Bien sûr, un certain nombre de conditions doivent être remplies. Notamment, il faut que le prestataire réel ait son domicile fiscal en France, ou ait réalisé la prestation en France.

D’autres conditions doivent également être remplies. J’y reviendrai plus bas.

L’article 155 A visait initialement les artistes et les sportifs

Lorsqu’il a été institué par la loi de finances pour 1973, l’article 155 A visait les artistes et les sportifs.

Il s’agissait alors de faire obstacle à un montage alors en vogue dit « rent-a-star system » ou « rent-a-star company ».

L’opération est sur le même modèle qu’évoqué plus haut :

Le prestataire réel est une célébrité participant à un événement en France, le plus souvent un concert ou un spectacle. Sa rémunération est alors versée à une société avec laquelle il est en lien.

Le texte permet alors – si bien sûr les conditions sont remplies – d’imposer les sommes perçues directement entre les mains de l’artiste ou du sportif.

La lecture de la jurisprudence en la matière fait ainsi apparaître des noms biens connus, tels les artistes Mireille Mathieu (CE, 25 janvier 1989, n°44787) et Charles Aznavour. Je reviendrai plus bas sur l’affaire Aznavour lors de l’étude de l’articulation entre les conventions fiscales internationales et l’article 155 A.

L’article 155 A et la pratique actuelle de l’administration

On constate aujourd’hui une utilisation de plus en plus agressive de ce texte par l’administration.

Elle taxe maintenant des personnes en dehors des champs sportifs et artistiques. Ces contrôles pourraient se comprendre s’ils frappaient uniquement les situations abusives. En effet, la loi ne vise pas expressément un secteur d’activité particulier.

Néanmoins, l’administration fiscale a également tendance à appliquer le texte dans des hypothèses où il n’existe pas de volonté frauduleuse. Il est alors opportun d’envisager une contestation vigoureuse des redressements. Nous y reviendrons plus bas.

Quelques exemples permettent d’apprécier la diversité des acteurs frappés par la foudre de l’article 155 A. Ont notamment été visées les personnes et situations suivantes :

  • Un ingénieur résident français qui faisait verser ses salaires à une société domiciliée sur l’île de Guernesey (CAA Nantes, 13 octobre 2016, n°15NT00132)
  • Un agent commercial résident en France qui faisait facturer à une société luxembourgeoise ses prestations (CE 12 mai 2017 n°398300)
  • Une personne se livrant à l’achat d’œuvres d’arts pour le compte de sociétés du Liechtenstein et du Panama (CE, 15 décembre 2004, n°262325). 
  • Un président de société résident belge dont les rémunérations étaient versées par une société française à une société luxembourgeoise (CAA Versailles, 22 juin 2017, n°15VE03933). 
  • Diverses situation de portage salarial (CAA Bordeaux, 6 février 2018, n°15BX02793).

L’article 155 A et la contestation des redressements : méthodologie

A s’en tenir à une lecture superficielle du texte, il suffirait que l’une des trois conditions suivantes soit remplie pour que l’administration fiscale puisse vous imposer en tant que prestataire réel :

  • Soit vous contrôlez directement ou indirectement la société qui perçoit la rémunération des services.
  • Soit vous n’apportez pas la preuve que la société en question exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services.
  • Soit la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié.

Je reviendrai dans le détail sur chacune de ces trois conditions.

Si vous êtes redressé, il est possible que l’administration insiste lourdement sur la condition qu’elle estime remplie.

Il sera bien sûr opportun de vous défendre sur ce point.

Néanmoins, il existe en fait un très grand nombre d’éléments à examiner pour juger de la validité ou non de la position de l’administration fiscale.

Il importe donc de les étudier un par un, avec ordre et méthode.

C’est ce à quoi je vais ici m’employer en examinant d’abord deux séries de questions.

La première série de questions concerne l’applicabilité ou non de l’article 155 A du CGI, dans son principe.

La deuxième série de questions concerne l’application de l’article 155 A du CGI dans ses modalités.

C’est une chose en effet de savoir si l’article 155 A du CGI est ou non applicable.

C’en est une autre de déterminer comment il doit s’appliquer. En effet, selon les options choisies à tort ou à raison par l’administration, les montants imposables peuvent être sensiblement différents.

Une troisième série de questions devra enfin être étudiée : les alternatives à l’utilisation de l’article 155 A par l’administration.

L’applicabilité de l’article 155 A du CGI dans son principe

Je vous présenterai dans un premier temps :

Les modalités d’application de l’article 155 A du CGI

Je vous exposerai ensuite :

Cette présentation et cet ordre ne s’imposent pas nécessairement à la lecture du texte. Mais ils permettent d’aborder la question de façon aussi complète que possible dans un simple article de blog.

Les alternatives à l’utilisation de l’article 155 A du CGI

Il existe des situations proches de celles visées par ce texte dans lesquelles les conditions d’application de l’article 155 A ne sont pas nécessairement remplies.

Néanmoins, l’administration fiscale dispose d’autres armes dans son arsenal pour tenter de vous taxer au titre de sommes perçues par un tiers situé à l’étranger.

On étudiera ici l’abus de droit fiscal.

J’ai traité dans un autre article de la « présomption de salariat » et de la « jurisprudence Becker« , qui sont parfois brandies par l’administration.

L’applicabilité de l’article 155 A du CGI dans son principe

Explication du champ d’application territorial de l’article 155 A

L’article 155 A est un dispositif propre à la fiscalité internationale.

L’administration ne peut donc l’utiliser contre vous que si votre dossier comporte un élément d’extranéité.

Une condition nécessaire : des sommes perçues par une personne située à l’étranger

Cas général : explication

Le texte indique d’abord qu’il s’applique lorsque des sommes ont été « perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France ».

Le plus souvent, cette personne sera une société de droit étranger.

Mais il pourrait également s’agir d’une personne physique.

Il s’agit d’une condition nécessaire, sans laquelle l’administration ne peut pas vous taxer au titre de l’article 155 A.

Un cas particulier : Article 155 A du CGI et établissement stable

Il faut distinguer le cas particulier où la société étrangère dispose en France de ce que l’on appelle un « établissement stable ».

Pour le dire en simplifiant, un « établissement stable » est une installation fixe, en France, d’une société étrangère.

Supposons un établissement stable en France d’une société étrangère qui encaisse les sommes pour les prestations que vous réalisez.

Dans une telle hypothèse, il a été jugé que l’administration fiscale est face à un choix (CE, 12 mai 2017, n°398300).

Elle peut, selon le Conseil d’Etat :

  • Soit vous taxer directement en tant que prestataire réel,
  • Soit taxer la société étrangère sur le montant des sommes perçues, en invoquant l’existence de l’établissement stable en France de la société étrangère.

Néanmoins, la 1ère solution susvisée est exclue par l’administration fiscale elle-même dans sa doctrine

Sauf dans le cas où une telle situation donnerait lieu à des abus, il y a lieu de considérer que ne sont pas visées par l’article 155 A du CGI les activités rattachées à un établissement que posséderait en France la personne morale étrangère dès lors que les revenus correspondants sont imposables en France” .

Paragraphe 130 du BOI-IR-DOMIC-30

Il est donc possible de soutenir que l’article 155 A ne peut trouver à s’appliquer dans une telle hypothèse.

En effet, la doctrine de l’administration lui est opposable.

Article 155 A et territorialité : deux conditions alternatives

 Il faut en outre qu’une des deux conditions alternatives suivantes soit remplie :

  • Soit vous avez votre domicile fiscal en France,
  • Soit vous avez réalisé la prestation en France.

Vous avez votre domicile fiscal en France

L’article 155 A du CGI est d’abord susceptible de s’appliquer si vous avez votre domicile fiscal en France.

Rappelons ici que pour avoir votre domicile fiscal en France, il faut que l’une des trois conditions alternatives suivantes soit remplie :

  • Vous disposez en France de votre foyer ou de votre lieu de séjour principal,
  • Vous avez votre activité professionnelle en France,
  • Vous avez le centre de vos intérêts économiques dans notre pays.

Chacune de ces trois notions a donné lieu à une jurisprudence abondante, qu’il serait trop long de détailler ici.

En outre, le jeu des conventions fiscales peut résoudre un éventuel conflit de résidence entre la France et un autre pays.

Vous avez réalisé la prestation en France

Si vous n’avez pas votre domicile fiscal en France, l’article 155 A est également susceptible de s’appliquer si la prestation a été réalisée en France.

Autrement dit, vous pouvez être taxé y compris si vous n’avez pas votre domicile fiscal en France.

Cela résulte clairement du II de l’article 155 A du CGI, qui dispose :

« Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France ».

Article 155 A du CGI

Condition préalable : l’existence d’une réelle prestation de service rendue par la personne imposée

Je l’ai mentionné plus haut, l’application de ce dispositif suppose qu’au moins une des trois conditions alternatives prévues par le texte soit remplie (contrôle, activité, lieu d’établissement).

Une lecture hâtive pourrait donc nous pousser à entrer directement dans le détail de ces trois conditions.

Cela est d’autant plus tentant que leur description occupe plus de la moitié du texte de l’article.

Il faut pourtant s’arrêter en amont, pour étudier ce que l’on pourrait qualifier de condition préalable à l’application de l’article 155 A du CGI.

Cette condition préalable résulte elle aussi de la lettre du texte, et tient en un mot.

Il faut que le prestataire réel ait rendu un « service ».

La première phrase de l’article 155 A précise ainsi que le dispositif vise « les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services ».

Le terme de service doit ici s’entendre comme synonyme de travail, ou d’activité.

Cela signifie – et ce point est décisif – que le texte ne peut pas s’appliquer si les sommes perçues par l’entité étrangère ne rémunèrent pas un service. Autrement dit, l’article 155 A du CGI ne s’applique pas aux revenus passifs.

Parmi les multiples raisons qui peuvent motiver une rémunération, les services ne sont donc qu’une catégorie particulière.

Toutes les autres causes de rémunération excluent donc l’application du texte.

Or, la qualification donnée à la cause de la rémunération peut être un sujet de désaccord avec l’administration.

Une étude précise des pièces du dossier et de la jurisprudence peut alors s’avérer utile.

On le montrera ici à travers deux exemples : celui des droits de propriété industrielle et celui du droit à l’image.

Propriété industrielle & article 155 A du CGI

Il ressort de la jurisprudence récente du Conseil d’Etat que l’article 155 A ne doit pas s’appliquer aux sommes rémunérant l’usage d’un droit de propriété intellectuelle.

Ainsi, « les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d’exploiter une licence de marque ou de brevet ne peuvent être regardées comme la contrepartie d’un service rendu au sens  et pour l’application de l’article 155 A du Code général des impôt » (CE 5 novembre 2021, n°433367).

Pour une autre décision en ce sens, on pourra également consulter l’arrêt Vuarnet, relativement à des redevances de cette célèbre marque de lunettes (CE 8 juin 2020, n°418962).

Droit à l’image & article 155 A du Code général des impôts

Une attention particulière doit être portée aux situations dans lesquelles vous concédez votre droit à l’image.

En principe, la concession d’un droit à l’image d’une personne ne constitue pas en soi un service ou un travail. Elle donne normalement lieu à des revenus passifs.

Mais, en pratique, il arrive que la valeur liée à l’image d’une personne soit étroitement liée à une activité particulière. Si tel est le cas, l’article 155 A du CGI pourrait trouver à s’appliquer.

En ce domaine, tout est donc affaire de circonstances.

Il arrive que la jurisprudence considère que la notoriété est si étroitement liée à une activité en cours que ces deux éléments sont indissociables l’un de l’autre.

Pour un exemple, on pourra consulter l’arrêt Edmilson Gomes de Moares (CE, 4 décembre 2013, n°348136).

Les amateurs de football liront également avec intérêt l’arrêt rendu par la Cour administrative de Douai à propos de Jacques Santini (CAA Douai, 6 février 2001, n°98-385).

A l’inverse, l’article 155 A du CGI ne s’applique pas si la notoriété est exploitée de façon passive. Tel sera le cas lorsque la célébrité a cessé son activité artistique ou sportive au moment de l’exploitation de son image (CE 8 juin 2020, n°418962, Vuarnet).

Article 155 A du CGI : explication des trois conditions alternatives d’application

Outre les conditions de territorialité et celle liée à l’existence d’un service, le texte prévoit trois conditions alternatives. Il faut donc que l’une des trois au moins soit remplie pour que l’article 155 A du CGI puisse s’appliquer.

Ces trois conditions alternatives sont les suivantes :

  • Vous contrôlez directement ou indirectement la société qui perçoit la rémunération.
  • La société étrangère n’exerce pas – de façon prépondérante – une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services.
  • La société est établie dans ce que l’on appelle un « Etat ou territoire à fiscalité privilégiée ».

Il apparaît nécessaire de détailler chacune de ces trois conditions :

Le contrôle de la société qui perçoit la rémunération

Le contrôle, par le prestataire réel, de la société qui perçoit la rémunération peut résulter :

  • De liens de dépendance juridique tels que la détention directe ou indirecte d’une partie importante du capital social ou de l’exercice directement ou par personnes interposées de fonctions comportant le pouvoir de décision ;
  • De liens de dépendance de fait qui peuvent découler des relations entre le prestataire des services et la personne morale étrangère (le prestataire des services se comporte en fait comme le véritable maître de l’entreprise, il fixe seul les conditions de ses interventions et leur rémunération, etc.). On peut citer en exemple un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 10 décembre 2020 (n°428059), montrant que la caractérisation d’une situation de contrôle peut ressortir des circonstances de fait et pas nécessairement de la démonstration d’un lien capitalistique.

C’est à l’administration qu’il incombe de prouver que cette condition de contrôle est remplie (CE Piazza, 20 mars 2013, n°346642).

Le critère « prépondérant » de l’activité de la société étrangère 

Le second critère alternatif est rempli lorsque la société étrangère n’exerce pas, de façon prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services.

L’administration souligne dans sa doctrine que ce critère de prépondérance s’apprécie par rapport au chiffre d’affaires de la société (BOI-IR-DOMIC-30, § 120) : 

  • Si le chiffre d’affaires provient à plus de 50% d’activités de prestations de services, le critère est rempli.
  • Si le chiffre d’affaires provient à plus de 50% d’activités industrielles ou commerciales autres que la prestation de services, le critère n’est pas rempli.

Il appartient au prestataire réel des services de prouver que la personne qui perçoit la rémunération exerce, de façon prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services (TA Nantes, 26 novembre 1996, n°92-4768).

La domiciliation de la personne bénéficiaire dans un Etat étranger soumis à un régime fiscal privilégié

Ce critère s’apprécie principalement au sens de l’article 238 A du Code général des impôts.

Ainsi, une personne est soumise à un régime fiscal privilégié lorsque l’imposition des bénéfices est inférieure d’au moins 40% à l’imposition qu’elle aurait subie dans les conditions de droit commun en France. 

Article 155 A du CGI & Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a validé l’article 155 A du CGI (Cons. Const. 26 novembre 2010, décision n°2010-70).

Il a cependant assorti cette validation de ce que l’on appelle une réserve d’interprétation.

Article 155 A du CGI : la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel

Autrement dit, l’administration fiscale peut appliquer le texte, à condition de ne pas l’interpréter d’une manière qui soit contraire à la Constitution.

La disposition problématique était l’article 13 de la  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle.

Cet article n’est pas respecté lorsqu’un impôt revêt un caractère confiscatoire ou fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

Le Conseil constitutionnel en déduit la réserve d’interprétation suivante :

« Dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l’étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d’un même impôt ».

Décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010

Réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel : conséquences pratiques

La réserve d’interprétation exclut que vous soyez redressé sur la quote-part des revenus qui vous est effectivement reversée par la société étrangère.

Le Conseil constitutionnel ne précise pas la forme que doit revêtir ce versement, et selon quel timing il doit intervenir.

Cette imprécision pourrait donner lieu à des désaccords avec l’administration fiscale. Il conviendrait alors de soutenir que la réserve d’interprétation doit s’appliquer quelle que soit la forme des versements, et quel que soit le moment auquel ils ont lieu.

En revanche, si l’intermédiaire a déjà été imposé à l’étranger, sans aucun reversement à votre profit, vous pourrez être imposé à nouveau en France sur la totalité des revenus perçus par ce dernier.  Le Conseil constitutionnel ne l’interdit pas.

La réserve vise à empêcher les doubles impositions en France mais pas à l’étranger (CE, 12 octobre 2018 n°414383). 

Article 155 A et droit de l’Union Européenne : explication

On le comprend aisément, l’article 155 A est un dispositif de nature à dissuader de créer une société dans un autre Etat Membre de l’Union Européenne.

  • En effet, si le prestataire apparent est domicilié en France, la présomption de perception du revenu par le prestataire réel ne s’applique pas.
  • A l’inverse, si le prestataire apparent est domicilié à l’étranger, la présomption s’applique.

Or, le droit de l’Union Européenne pose un principe de liberté d’établissement qui vise à supprimer les obstacles illégitimes qui dissuaderaient un opérateur de s’établir dans un autre Etat Membre.

Les développements qui suivent auront donc pour objet :

  • D’expliquer la problématique de la comptabilité de l’article 155 A avec le principe de liberté d’établissement.
  • D’étudier comment la jurisprudence a répondu à cette problématique jusqu’à ce jour.

Article 155 A & droit de l’Union Européenne : problématique

L’article 49 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) énonce :

« Les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre. »

De ce texte découle le principe de « liberté d’établissement ».

Un prestataire de services originaire d’un État membre peut en application de ce principe installer son entreprise dans n’importe quel autre pays de l’Union Européenne.

Par exception, les atteintes à la liberté d’établissement sont tolérées si elles répondent à un motif impérieux d’intérêt général.

Les développements qui suivent devront donc répondre aux deux questions suivantes :

  • En instaurant une présomption de fraude qui ne s’applique que lorsque le prestataire apparent est situé à l’étranger, l’article 155 A viole-t-il la liberté d’établissement ?
  • Dans l’affirmative, cette atteinte à la liberté d’établissement est-elle justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ?

Comme on va le voir, les principes affichés en la matière sont assez satisfaisants. Sur le papier, ils permettent un réel respect de la liberté d’établissement.

En revanche, les principes proclamés ne sont pas toujours appliqués de façon satisfaisante par l’administration, et même parfois par les juges. Une défense serrée est donc nécessaire pour faire valoir les droits des contribuables attaqués.

J’ajoute que le principe de libre circulation des travailleurs pourrait également être en cause, selon un raisonnement comparable.

Article 155 A et liberté d’établissement : des décisions favorables aux contribuables

Plusieurs décisions ont heureusement relevé une incompatibilité totale ou partielle avec le droit de l’Union Européenne.

On citera ici deux décisions de Cours administratives d’appel qui ont jugé que l’article 155 A ne pouvait s’appliquer qu’aux montages purement artificiels :

  • CAA Douai, 14 décembre 2010 n° 08-1103, M. Deschilder : Cette décision écarte l’application de l’article 155 A dès lors qu’il ne distingue pas les hypothèses de montage purement artificiel de celles où l’implantation hors de France du prestataire apparent serait justifiée par des motifs légitimes, et ne permet pas au contribuable de faire valoir de tels motifs.
  • CAA Versailles 10 mai 2012 n° 09VE02775, M. Sierra : Cet arrêt énonce que l’article 155 A est compatible avec la liberté d’établissement uniquement lorsqu’il permet de faire échec aux montages purement artificiels utilisés par les contribuables aux seules fins de contourner la loi fiscale. Il est incompatible avec la liberté d’établissement lorsqu’il va au-delà de cet objectif.

Ces arrêts de Cours administratives d’appel ont poussé le Conseil d’Etat à prendre position. Rappelons que le Conseil d’Etat est juge de cassation en matière fiscale. Il s’agit du plus haut degré de juridiction en droit interne français.

Article 155 A du CGI et liberté d’établissement : la jurisprudence Piazza

Plutôt que de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, le Conseil d’Etat a choisi une interprétation neutralisante de l’article 155 A du CGI.

Autrement dit, il a choisi d’interpréter l’article 155 A dans un sens qui le rende conforme à la liberté d’établissement. Le mécanisme est comparable à celui de la réserve d’interprétation évoquée lorsque nous avons abordé la position du Conseil Constitutionnel.

Le Conseil d’Etat juge ainsi dans une importante décision Piazza (CE, 20 mars 2013, n°346642) :

« les dispositions en question […], visent uniquement l’imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d’une personne établie ou domiciliée hors de France ; qu’en l’absence d’une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s’établir hors de France ne saurait être entravée du fait de ces dispositions ».

CE, 20 mars 2013, n°346642
Jurisprudence Piazza : explication et critique

On critiquera d’abord la jurisprudence Piazza elle-même, puis sa mise en œuvre par les juridictions et l’administration.

Critique de la jurisprudence Piazza

Il ressort de la décision Piazza citée au paragraphe précédent que le Conseil d’Etat considère que l’article 155 A s’applique dès lors que le prestataire apparent n’a rendu aucune contrepartie justifiant son intervention.

En effet, en l’absence d’une telle contrepartie, le montage serait artificiel.

Or, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) n’admet la compatibilité d’une présomption générale de fraude avec le principe de liberté d’établissement que si elle ne vise que les « montages artificiels » (cf. notamment CJUE, 7 septembre 2017, aff. C-6/16 Eqiom SAS).

Cet arrêt Eqiom énonce :

 «  Il y a lieu de rappeler que, pour qu’une législation nationale soit considérée comme visant à éviter les fraudes et les abus, son but spécifique doit être de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont le but est de bénéficier indûment d’un avantage fiscal.

Ainsi, une présomption générale de fraude et d’abus ne saurait justifier ni une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs d’une directive, ni une mesure fiscale portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité« 

§ 30 et 31 de l’arrêt CJUE, 7 septembre 2017, aff. C-6/16 Eqiom SAS

On ne peut donc que regretter que le Conseil d’Etat n’ait pas repris purement et simplement le critère de montage artificiel prévu par le droit de l’Union Européenne.

En effet, j’estime que cette absence de référence à un tel critère de montage artificiel est responsable des déviances que l’on observe aujourd’hui, et qui seront étudiées dans le paragraphe qui suit.

Critique de l’application de la jurisprudence Piazza par l’administration et les juridictions

Depuis l’arrêt Piazza susvisé, il a été fait application de l’article 155 A dans des situations où la société étrangère fournit une prestation et où le montage n’est pas artificiel.

Ainsi, dans une décision de 2019, l’article 155 A a été jugé applicable alors même qu’aucun montage artificiel n’était intervenu (CE 8e-3e ch. 9 mai 2019 n° 417514).

Dans cette affaire, la facturation de prestations par la société étrangère résultait d’une réorganisation d’un groupe de sociétés motivée par des raisons non fiscales.

Le Conseil d’Etat juge cependant l’article 155 A du Code général des impôts applicable.

Il ajoute qu’il est possible, en quelque sorte, de « fragmenter » la rémunération facturée par la société étrangère. La part de cette rémunération répondant aux critères de l’article 155 A serait imposable entre les mains de la personne physique qui a réalisé la prestation.

Article 155 A & liberté d’établissement : quelle stratégie adopter ?

L’administration a malheureusement tendance a appliquer l’article 155 A y compris en l’absence de montage artificiel. Cela pose problème au regard du principe de liberté d’établissement tel qu’interprété dans l’affaire Eqiom susvisée.

La stratégie de défense à adopter dépend bien sûr des particularités de votre dossier.

Je vois cependant deux stratégies de défenses, qui pourront être utiles dans de nombreuses situations. Ces deux stratégies peuvent être menées simultanément.

Il s’agira de montrer que le montage n’a rien d’artificiel, et d’insister sur l’intervention propre de la société étrangère.

Première stratégie : montrer que le montage n’a rien d’artificiel

Malgré certaines décisions de justice insatisfaisantes, il existe plusieurs jurisprudences ayant jugé que l’article 155 A n’est applicable qu’en cas de montage artificiel.

Ces jurisprudences devront être mises en avant.

Il conviendra également d’apporter tout élément de nature à prouver la cohérence économique de la perception de la rémunération par une personne étrangère.

Pour cela, un audit précis sera nécessaire.

Deuxième stratégie : insister sur toutes les prestations de la personne étrangère ayant perçu la rémunération

Un autre mode de défense peut être possible à titre subsidiaire.

Il consiste à tenter de faire baisser le quantum des redressements, en montrant que les sommes versées à l’entité étrangère ne rémunèrent que pour partie votre activité personnelle.

En effet, dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 mai 2019 susvisé, la juridiction a admis un raisonnement de ce type.

Cet arrêt est certes contestable par d’autres aspects. Mais il a néanmoins admis que le contribuable ne soit taxé que sur la quote-part de la rémunération correspondant à son intervention personnelle.

La question du prestataire réel en tant que mandataire du prestataire apparent

Supposons que l’administration fiscale vous redresse au titre de l’article 155 A dans un contexte où vous êtes lié à la société qui a facturé cette prestation.

Un axe de défense à examiner consiste à se poser la question de savoir si vous avez ou non agi en tant que mandataire de la société qui a facturé les prestations.

Dans une telle hypothèse, ce n’est pas vous, sur le plan juridique, qui êtes censé avoir rendu les prestations.

Bien sûr, il s’agit peut-être de votre travail personnel. Mais ce travail est alors rendu en tant que représentant de la société établie à l’étranger.

Dans une telle hypothèse, il est alors possible de soutenir que c’est bien la société étrangère qui a rendu la prestation.

En conséquence, l’idée que l’article 155 A ne serait pas applicable peut être défendue.

Les modalités d’application de l’article 155 A du CGI

Article 155 A et conventions fiscales internationales

La question de la conformité de l’article 155 A du CGI avec les conventions fiscales internationales doit toujours être posée.

Elle est complexe et mérite des explications.

Nous illustrerons cette problématique à travers l’arrêt de principe rendu par le Conseil d’Etat en la matière, l’arrêt Aznavour (CE, 28 mars 2008, n°271366, Charles Aznavour).

Nous en tirerons ensuite des conséquences plus générales.

L’arrêt Aznavour & l’article 155 A du CGI

Explication et rappel des faits

En 1989, Charles Aznavour, domicilié en Suisse, donnait un concert à Paris. 

Le cachet fut versé à une société britannique contrôlée par l’artiste.

L’administration fiscale a voulu taxer les sommes en cause directement entre les mains de l’artiste, en invoquant l’article 155 A du Code général des impôts.

Sa défense a alors notamment consisté à invoquer les conventions fiscales internationales passées par la France avec la Suisse et le Royaume-Uni.

C’est cette défense et la position du Conseil d’Etat qu’il convient maintenant d’aborder. En effet, l’arrêt est riche d’enseignements, bien au-delà de l’affaire en cause.

Article 155 A du CGI : défense de Charles Aznavour et position du Conseil d’Etat

Charles Aznavour invoquait à la fois la convention fiscale franco-britannique et la convention fiscale franco-suisse.

Nous étudierons successivement chacun de ces deux points.

Défense fondée sur la convention fiscale franco-britannique

Selon lui, la convention fiscale franco-britannique faisait obstacle à cette imposition en ce qu’elle ne permet l’imposition en France d’une société établie en Grande-Bretagne que si celle-ci dispose d’un établissement stable en France.

Or, la société établie en Grande-Bretagne ne disposait pas en France d’un tel établissement stable.

Pour rappel, et en simplifiant beaucoup, un « établissement stable » est une installation fixe, en France, d’une société étrangère.

Or, une telle défense s’est soldée par un échec.

En effet, le Conseil d’Etat a refusé d’examiner la convention fiscale franco-britannique.

Il a alors considéré – et considère toujours – que l’article 155 A du CGI a précisément pour objet de faire abstraction du prestataire apparent.

La convention fiscale internationale entre le pays du prestataire apparent et celui du prestataire réel n’a donc pas à être examinée.

Défense fondée sur la convention fiscale franco-suisse

Charles Aznavour estimait également que la convention franco-suisse faisait obstacle à cette imposition car son article 19, § 1 ne permettait d’imposer les artistes en France qu’à raison des revenus perçus au titre d’une activité exercée en France.

Or, en l’espèce, le chanteur n’avait encaissé aucun revenu.

Seule la société britannique les avait encaissés.

Il soutenait donc ne pas pouvoir être imposé dans la mesure où, selon lui, la convention limitait la possibilité de taxation en France aux seuls revenus effectivement perçus.

Cet axe de défense s’est également soldé par un échec.

En effet, selon le Conseil d’Etat, la somme versée à la société britannique « rémunérait […] en vertu de l’article 155 A du CGI, un revenu retiré par l’artiste de son activité de professionnel du spectacle en France ».

Pour le dire autrement, l’article 155 A créant une fiction juridique de disposition du revenu par l’artiste, ledit revenu devait également être considéré comme ayant été perçu pour les besoins de l’interprétation de la convention fiscale internationale.

L’article 155 A & les conventions fiscales internationales : principes généraux

Les principes dégagés par l’arrêt Aznavour sont encore valables aujourd’hui.

Ils peuvent être résumés de la façon suivante : la fiction de réalisation du revenu par le prestataire réel doit jouer pleinement pour l’application des conventions fiscales internationales.

Ce point est régulièrement rappelé par la jurisprudence (Cf. notamment : CE, Edmilson Gomes de Moares, 4 décembre 2013, n°348136).

  • Il en résulte que la convention entre la France et le lieu de résidence du prestataire apparent n’a pas à s’appliquer.
  • A l’inverse, contrairement à ce que prétend l’administration, il n’y a pas de raison d’exclure a priori l’application de la convention entre la France et le lieu de résidence fiscale du prestataire réel.

C’est donc sur cette convention que nous nous attarderons dans les développements qui suivent.

Convention entre la France et le lieu de résidence fiscale du prestataire réel

La convention fiscale internationale conclue entre la France et le lieu de résidence du prestataire réel est à mon sens pleinement applicable.

Telle n’est pas la position de l’administration fiscale, qui énonce dans sa doctrine :

Il convient en effet de considérer que les conventions fiscales internationales qui sont destinées à éviter les doubles impositions ne trouvent pas à s’appliquer dans le cas de montages du type de ceux visés par l’article 155 A du CGI puisque le prestataire des services n’a pas été imposé dans un autre État à raison des sommes reçues par la personne domiciliée ou établie hors de France”.

(BOI-IR-DOMIC-30 paragraphe 180 à 200)

Néanmoins, cette position est contraire à la logique de la jurisprudence, ainsi qu’à la position des auteurs les plus éminents.

Pour toute une série de raisons qu’il serait trop long de développer ici, il n’y a donc pas lieu de se plier à la position de l’administration.

Il conviendra donc de se plonger dans la lettre de la convention fiscale internationale applicable.

Chaque convention étant unique, une étude exhaustive est ici impossible.

J’aborderai donc succinctement ici les règles applicables aux revenus des artistes et des sportifs, puis les règles applicables aux autres types de revenus.

Encore, une fois, il ne s’agit ici que d’indications générales. En cette matière plus que dans toute autre, ce sont les particularités du dossier et de la convention applicable qui guideront l’interprétation.

Les règles applicables aux artistes et sportifs

La plupart des conventions fiscales suivent, dans leurs grandes lignes, le modèle proposé par l’OCDE.

A l’article 17 de ce modèle est prévue une règle d’imposition spécifique pour les artistes et sportifs. 

Cette règle, plus particulièrement dans son second paragraphe, entraîne le même résultat que l’article 155 A.

Dès lors, l’administration fiscale considère que ces dispositions se substituent à l’article 155 A et entraînent en pratique la même imposition. 

Ainsi, les conventions fiscales ne font en principe pas obstacle à l’application du régime de l’article 155 A pour les artistes et les sportifs (et même les mannequins dans la convention franco/luxembourgeoise).

Les règles applicables aux autres catégories

Pour les autres types de rémunération, il faudra d’abord qualifier les revenus en question, puis voir ce que la convention fiscale prévoit à leur sujet : 

  • Par exemple, s’il s’agit de revenus d’emplois, il est en principe prévu que le lieu d’imposition est celui du lieu de résidence fiscale, sauf si l’emploi est exercé dans l’autre Etat contractant (article 15 modèle OCDE). 
  • De la même manière, les dividendes sont le plus souvent imposables dans l’Etat de résidence, peu importe leur provenance. 
  • Si jamais la somme ne peut recevoir aucune qualification, elle entre alors dans le champ d’application de l’article 21 du modèle OCDE qui prévoit que tous les revenus non prévus précédemment sont imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. 

Comme le lecteur le comprendra, il est impossible de dresser dans cet article une liste exhaustive de la qualification des prestations rendues et de l’imposition applicable. 

Conclusion

Les conventions fiscales peuvent être un outil de contestation efficace, mais dans certains cas seulement.

L’étude de la convention est d’autant plus nécessaire qu’elle n’aura en pratique pas été faite par l’administration.

La question de la qualification du revenu

Lorsque l’article 155 A est applicable, l’administration peut imposer directement le prestataire de service sur la totalité des sommes versées à la personne interposée.

Cette imposition est possible que ces sommes aient été ou non reversées au prestataire réel. 

Cela repose sur la présomption que la société interposée n’est qu’une façade.

Cependant, l’article 155 A permet uniquement de désigner le contribuable qui rend effectivement le service et qui devient assujetti à l’impôt sur ses revenus.

Pour soumettre ces revenus à l’imposition, l’Administration doit nécessairement les qualifier en utilisant les dispositions communes du Code général des impôts.

Dès lors, il pourra s’agir de traitements et salaires, de bénéfices industriels et commerciaux ou encore de bénéfices non commerciaux, etc… 

L’Administration devra ainsi faire application des règles de taxation propres à la catégorie de revenus déterminée.

Axe de défense 

Si l’administration n’a pas pris la peine de qualifier les revenus, cela peut être constitutif d’un vice de procédure

Le cas échéant, il peut être utile de contester la qualification retenue par l’administration pour les revenus en cause, ce qui pourra avoir une incidence sur l’imposition. 

On en donnera ici deux exemples :

  • La qualification du revenu peut avoir une incidence sur l’application ou non de la convention fiscale internationale. En effet, si vous résidez à l’étranger, vous avez tout intérêt à ce que le revenu se voie attribuer une qualification dont l’imposition est réservée à votre pays de résidence.
  • Les activités indépendantes doivent en principe être déclarées, sous peine de majorations de 80% pour activité occulté. La qualification d’activité salariée ou assimilée peut donc être préférable dans certains cas.

Article 155 A du CGI & solidarité du prestataire apparent

Le texte prévoit que le prestataire apparent est solidairement responsable de l’impôt dû par le prestataire réel.

Autrement dit, l’administration est en droit d’aller demander le paiement de l’impôt directement à la personne étrangère interposée.

Pour ce faire, l’administration n’a pas à suivre une procédure de rectification vis-à-vis de cette personne. Il lui suffit de lui adresser un avis de mise en recouvrement (Cf. CAA Lyon, 12 février 2019, n°17LY03985).

Cela n’empêche pas le débiteur solidaire de contester le bien-fondé de l’imposition.

Bien entendu, l’efficacité de cette solidarité dépendra en grande partie des accords d’assistance au recouvrement appliqués entre la France et l’autre pays.

Article 155 A et pénalités de 40% ou 80%

On abordera ici les éventuelles majorations de 40% pour manquement délibéré, ainsi que de 80% pour activité occulte.

Mais on pourrait également imaginer l’application de majorations de 80% pour manœuvres frauduleuses.

Pénalités de 40% pour manquement délibéré

L’article 155 A est un texte anti-abus.

L’administration considérera le plus souvent qu’un redressement sur ce fondement doit être assorti de majorations de 40% pour manquement délibéré.

Si vous êtes redressé sur le fondement de l’article 155 A sans majoration de 40%, il sera souvent possible de plaider que vous ne relevez pas du dispositif.

En effet, le fait de ne pas être visé par de telles majorations indique que l’administration elle-même admet que vous n’avez pas voulu participer à un montage abusif.

A l’inverse, l’administration a parfois la main lourde. En effet, en considérant que tout contribuable relevant de l’article 155 A doit se voir appliquer des majorations de 40%, elle peut oublier qu’il lui appartient de justifier ces majorations. Elles devront alors être vigoureusement contestées.

Pénalités de 80% pour activité occulte

L’administration assortit parfois les redressements pratiqués sur le fondement de l’article 155 A de la majoration de 80% pour activité occulte.

L’activité occulte implique que celle-ci aurait dû être déclarée en tant qu’activité indépendante.

Si votre dossier s’y prête, il peut donc être opportun de tenter de faire valoir une qualification de revenu salarié ou de gérance. Pour un exemple intéressant, vous pouvez consulter un arrêt du Conseil d’Etat du 16 juillet 2021 (n°433578).

Par ailleurs, il est admis que la majoration de 80% ne soit pas applicable si vous êtes en mesure de prouver votre bonne foi. Tel sera par exemple le cas si vous avez rempli l’ensemble de vos obligations fiscales à l’étranger, si les niveaux d’imposition y sont proches, et s’il existe un échange d’informations fiscales entre les deux pays.

Article 155 A et fraude fiscale : explication

Attention, le risque n’est pas exclusivement fiscal, il est aussi pénal. 

En effet, dans un arrêt du 8 avril 2021 (Cass. Crim. 8 avril 2021 n°19-87905) rendu en matière de fraude fiscale, la Cour de cassation jugé que l’omission de déclarer des rémunérations taxables au titre de l’article 155 A constituait un délit de fraude fiscale.

Article 155 A : extension au droit pénal de la présomption fiscale

Plus encore, le même arrêt juge que la fraude fiscale peut être caractérisée, même s’il n’est pas démontré que le contribuable aurait personnellement appréhendé les sommes en cause.

En d’autres termes, la Cour de cassation considère que le contribuable étant fiscalement réputé avoir appréhendé les sommes perçues par la société étrangère, la preuve de cette appréhension n’est pas requise pour caractériser la fraude fiscale.

La présomption de fraude fiscale est donc étendue au droit pénal.

Cette décision est d’autant plus malheureuse que dans cette affaire, les contribuables ont finalement été déchargés de l’impôt par le Conseil d’Etat, et ce, après l’issue du procès pénal.

On ose espérer que le rappel de ce raté de la justice pénale permettra de réussir à convaincre le tribunal correctionnel de surseoir à statuer jusqu’à l’issue des contestations fiscales, avant de prendre sa décision.

Fraude fiscale et 155 A : rappel des peines encourues

La qualification de fraude fiscale peut entraîner des peines lourdes, indépendamment des sanctions fiscales évoquées précédemment. La fraude fiscale est en principe passible de 500 000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement.

Les peines peuvent même aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et une amende de 3 millions d’euros, lorsque la fraude a été réalisée au moyen :

1° Soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

[…]

4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

5° Soit d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.

Article 1741 du Code général des impôts

L’abus de droit comme alternative à l’article 155 A

Il existe de nombreux textes fiscaux destinés à lutter contre les abus.

L’article 155 A du Code général des impôts en fait partie.

On pourrait également citer toute une foule de textes, comme l’article 209 B du CGI, l’article 123 bis, ou encore l’article 13, 5 du Code général des impôts.

Tous ces dispositifs sont de portée limitée.

Nous avons dit plus haut qu’il arrive que l’administration fiscale utilise l’article 155 A dans des situations qui ne sont absolument pas abusives.

Mais l’inverse est également vrai. On pourrait imaginer des situations jugées abusives par l’administration qui n’entreraient pas dans le champ d’application du texte.

Tel pourrait par exemple être le cas si la société qui perçoit les revenus n’est pas contrôlée par vous-même, mais par un de vos proches.

ATTENTION, l’administration fiscale n’aime pas ce type de montage et pourra toujours substituer la procédure de l’abus de droit à l’article 155 A. 

Pour une étude plus générale sur la stratégie à adopter, je vous invite à prendre connaissance de mon article intitulé : Comment contester un redressement fiscal ?